En octobre 2007, s’est tenu dans 23 villes européennes de 7 pays différents le second forum China-Europa. Pierre Calame, directeur général de la Fondation Charles Léopold Mayer pour le progrès de l’Homme (FPH) nous raconte ici comment celui-ci est parti des conclusions majeures de l’Assemblée Mondiale de Citoyens de Lille : il faut construire une communauté mondiale et ne plus s’en tenir aux relations d’État à État. Toute la conception de ce forum découle des apprentissages de l’Alliance : l’idée de combiner les trois dimensions de la diversité : géoculturelle, collégiale et thématique ; l’exigence de refléter par des quotas cette triple diversité pour le choix des participants ; le mode d’animation des ateliers et de restitution « en temps réel » de la synthèse de leurs travaux grâce à la cartographie conceptuelle ; enfin, la place accordée au site web pour donner une vision d’ensemble. Ainsi, ce forum est l’illustration de la stratégie adoptée en 2003 pour la nouvelle étape de l’Alliance : nourrir de l’expérience de la première étape une multitude d’initiatives plus autonomes inspirées de ses objectifs et de ses méthodes.
Du 4 au 7 octobre 2007, s’est tenu dans 23 villes européennes de 7 pays différents puis à Bruxelles le second forum China-Europa. C’est une tentative sans précédent de mettre en dialogue, sur les principaux défis du monde contemporain, la société européenne et la société chinoise. Au total, mille participants ont été impliqués dans ce forum : de tous les milieux, de tous les États membres de l’Union Européenne et des quatre coins de la Chine.
La séance plénière d’ouverture qui s’est tenue à Bruxelles le 6 octobre 2007 était présidée par Jacques Delors, véritable icône d’une Union Européenne porteuse d’une vision et ouverte sur le monde. Ce n’est pas pour rien qu’on entend dire partout à Bruxelles « il nous faudrait un nouveau Delors ! ». Sont intervenus à cette séance plénière, pour dire leur appui à ce dialogue entre sociétés, toutes les institutions européennes représentées à un haut niveau. Les autorités chinoises par la bouche de l’ambassadeur ont exprimé ce même appui.
Mais ces séances plénières ont été précédées de 46 ateliers d’une vingtaine de personnes chacun, organisés les 4 et 5 octobre dans 23 villes différentes, de 7 pays européens appartenant à l’espace Schengen, souvent avec l’appui des collectivités locales concernées. Dix-neuf de ces ateliers étaient “socioprofessionnels” ; vingt sept étaient “thématiques”… cela ne vous rappelle rien ?
Chaque atelier devait en outre respecter pour chacune de ses quatre sessions un mode de rédaction des synthèses conforme à un même format, ce qui a permis, grâce aux outils de desmographie (cartographie conceptuelle), de présenter en plénière, 24 heures à peine après la réalisation des 46 rapports d’atelier, une synthèse provisoire accompagnée d’un document montrant comment cette synthèse avait été construite à partir des contributions des ateliers. Cela ne vous rappelle rien ?
Silence des médias européens, une grosse couverture chinoise
Comme à Lille, le silence des médias européens sur l’événement a été assourdissant tandis que dans les médias chinois les plus importants et les plus divers, télévision, journaux et revues, site web et blogs, la couverture a été exceptionnelle.
L’histoire de ce forum China–Europa est lui-même particulièrement instructif. Le premier forum s’est tenu en octobre 2005 en Chine, à Nansha près de Canton. Il répondait à un objectif ponctuel et n’avait aucune vocation, au départ, à se transformer en un processus permanent. Il s’agissait à l’époque de répondre au souhait de la société chinoise de mieux comprendre le processus de construction de l’Union Européenne, les leçons que les Européens eux-mêmes en tiraient et les leçons que pouvait pour sa part en tirer la Chine. Par exemple, une des questions qui titille les Chinois est celle de la réconciliation franco-allemande et du rôle de la construction européenne dans cette réconciliation car, après la seconde guerre mondiale aucun processus équivalent n’a eu lieu entre la Chine et le Japon.
Ce premier forum a conduit des acteurs et grands témoins de la construction européenne à dire le meilleur de leur expérience. Il fut tellement passionnant qu’il a donné naissance, en français, à un livre, L’Europe c’est pas du chinois, publié aux Éditions Charles Léopold Mayer. Vous pouvez le télécharger gratuitement sur le site des ECLM.
Comme il arrive souvent, la réussite de ce premier forum en a transformé la nature : il était dommage de s’arrêter en si bon chemin et l’idée s’est imposée d’elle-même d’un forum biennal tenu alternativement en Chine et en Europe.
Un projet complètement en phase avec la nouvelle étape de l’Alliance
C’est quand il a fallu concevoir le second forum, à l’automne 2006, pour sa tenue en octobre 2007, que les choses se sont corsées.
Il ne s’agissait plus de « présenter la Chine aux européens ». Pour le meilleur et pour le pire la Chine est à la mode en Europe et on ne compte plus les colloques qui lui sont consacrés. L’objectif était nécessairement plus ambitieux : amorcer le dialogue de société à société autour des défis communs. Si la FPH a financé massivement ce second forum, à une hauteur probablement comparable à ce qu’a été l’Assemblée Mondiale de Citoyens de Lille de l’Alliance, c’est parce qu’il était le reflet exact de ses orientations 2003-2010 : contribuer à construire une communauté mondiale. Or, ces orientations ne sont rien d’autre que les conclusions de l’Alliance et de l’Assemblée Mondiale de Citoyens : construire une communauté mondiale, construire des Alliances citoyennes internationales, travailler ensemble sur un certain nombre de grands défis communs.
La Charte constitutive du forum China-Europa est elle-même directement inspirée de la Charte constitutive de l’Alliance pour un monde responsable, pluriel et solidaire pour son étape 2004 – 2010 : des objectifs communs ; une éthique commune ; des dispositifs de travail communs. C’est le trépied que nous avons retenu pour inventer la gouvernance de l’Alliance. L’idée était justement que dans la phase qui s’ouvrait, l’inspiration de l’Alliance devrait venir irriguer une grande diversité d’initiatives qui auraient chacune son autonomie.
Si vous allez sur le site web du forum China- Europa et que vous vous plongez dans la philosophie du second forum China-Europa, dans les méthodes d’animation, dans les modes de restitution des synthèses, vous retrouverez point par point tous les ingrédients dont nous avons fait l’apprentissage dans le cadre de l’Alliance et de la préparation de l’Assemblée Mondiale de Citoyens.
Cela vaut d’abord pour la conception d’ensemble et l’idée que la diversité du monde peut s’exprimer en trois dimensions : diversité géographique (les chantiers géoculturels de l’Alliance) ; diversité socioprofessionnelle (les collèges de l’Alliance) ; diversité thématique (les chantiers thématiques). C’est cela qui nous a conduit à concevoir le forum de manière décentralisée réparti sur le territoire européen et avec d’un côté les ateliers socioprofessionnels et de l’autre les ateliers thématiques.
Les premiers tournaient autour de la question de la responsabilité d’un milieu vis-à-vis du reste de la société (c’est la question, familière aux alliés, du nouveau contrat social). Les seconds visaient à comprendre comment derrière des réalités différentes se profilaient les questions communes, allant du vieillissement de la population au développement durable. Ateliers socioprofessionnels et ateliers thématiques sont regroupés selon la méthodologie des quatre pôles de l’Alliance.
Une exigence presque obsessionnelle de diversité
Nous avons aussi retenu de la préparation de l’Assemblée 2000 l’exigence presque obsessionnelle de la diversité des participants. Peut-être les alliés de longue date se souviendront-ils des débats et polémiques de l’époque autour de la sélection des participants à l’Assemblée Mondiale de Citoyens. Certains auraient voulu que ce soit avant tout une Assemblée des alliés. Mais cette Assemblée des alliés était infiniment loin de refléter la diversité socioprofessionnelle et géoculturelle du monde. Nous nous sommes donc imposés, pour préparer l’Assemblée de Lille, des quotas par milieu socioprofessionnel et par zone géographique. Ces quotas ont fait grincer les dents et ont été dénoncés à l’époque par certains alliés qui nous voyaient rechercher désespérément telle femme d’Asie centrale ou tel chef d’entreprise d’Inde mais c’est finalement ce qui a fait la force symbolique assez extraordinaire de Lille et, pour ceux qui ont vécu l’événement de l’ouverture de l’Assemblée Mondiale de Citoyens, induit ce sentiment que pour une fois « le monde était là ».
Le mode de sélection des participants au second forum China–Europa a repris des apprentissages de Lille : constitution de réseaux d’informateurs pour nous aider à élargir le dialogue et procédure de choix des participants privilégiant la diversité. Même si nous n’avons pas pu, comme à Lille d’ailleurs, respecter exactement et jusqu’au bout les critères de diversité géographique et collégiale que nous nous étions imposés, en particulier parce qu’en Chine ce sont des universités qui ont organisé la sélection des participants privilégiant au passage le monde universitaire, ces exigences de diversité ont imprégné tout le colloque.
Le mode d’animation des ateliers et de restitution de leurs travaux est lui aussi décalqué de celui de l’Assemblée Mondiale de Citoyens. Nous avons repris l’idée que les synthèses devaient se faire sous forme d’énoncés courts qui sont les descripteurs de notre logiciel de desmographie. Cette discipline collective a été presque miraculeusement respectée par tous et c’est ce qui nous a permis de présenter des éléments de synthèse dès les plénières de Lille.
Est enfin inspirée de l’Alliance l’idée qu’on ne peut avancer dans la construction d’une communauté mondiale et d’une vision prospective du monde de demain, qu’en respectant le double impératif de diversité et d’autonomie d’une part, d’unité de cohérence et de transversalité d’autre part.
L’idée que nous avons retirée de l’expérience de l’Alliance est que cette unité doit être obtenue non pas par un « gouvernement central » mais par des dispositifs de travail commun et une éthique commune. Outre la méthode de restitution des travaux d’atelier, le web du forum en est une autre parfaite illustration. Comme celui de l’Alliance, il est structuré en ateliers. Pour chacun d’eux on distingue des documents de problématique, chinois et européens, qui plantent le décor, et des contributions diverses qui viennent nourrir la réflexion.
Prolonger maintenant le dialogue… avec la méthodologie de l’Alliance
La réussite du second forum China-Europa produit à son tour une mutation de sa nature même. Après le premier forum, nous étions passé d’un événement ponctuel à un processus de dialogue marqué par des rencontres biennales. La réussite du second le transforme en un processus de dialogue continu dont les rencontres biennales ne sont plus que des étapes.
Pour cela, il va falloir prolonger le dialogue initié dans chaque atelier et compléter le site par des forums de débat interactifs. Et, bien entendu, nous allons encore bénéficier de l’expérience de l’Alliance en nous appuyant sur le guide d’animation des forums électroniques citoyens, mettant en contribution au passage les ressources humaines qui se sont constituées au fil des années.
URL : www.alliance21.org/2003/article3170.html
DATE DE PUBLICATION :12 novembre 2007