En direct du Forum Social Mondial : un carnaval plein de couleurs avec une mission sérieuse

Il y a de la musique dans l’air. Trempées par une averse de fin d’après-midi, plus de 100 000 personnes avec causes et convictions, venant de 120 pays, remplissent les rues de danses, de tambours et de rêves. Leurs slogans réverbèrent sur les horizons : pour un monde plus vert, pour la justice, les droits de l’homme, et pour un monde meilleur. Le soir venu, la ville est un carnaval de protestation et de poésie – cherchant des alternatives pour un monde meilleur. Ainsi commence le neuvième Forum social mondial (FSM) le 27 janvier à Belém, capitale de l’État amazonien de Pará au Brésil.

Le FEM de Davos ? on s’en moque !

Le premier FSM, un événement annuel, a eu lieu en 2001 et a émergé sous forme de plate-forme d’échanges, un espace ouvert pour trouver des alternatives afin de construire un monde juste et humain, débarrassé de pauvreté et d’injustice. Cette année, la crise économique mondiale a donné un sens particulier au FSM. Si le FSM est parti sous forme de contre-discours au Forum Économique Mondial (FEM), il émerge aujourd’hui plus largement comme partie intégrante du processus social et politique de beaucoup d’endroits du monde.

Le clou du FSM de cette année a été le sommet public des présidents des cinq pays amazoniens : le Brésil, la Bolivie, le Vénézuela, le Paraguay et l’Équateur. Dans les mots de Cândido Grzybowski, membre fondateur du FSM : « Depuis de très nombreuses années, nous affirmons que les rêves d’un capitalisme financier débridé et obsédé par la croissance deviendraient un cauchemar de misère pour les peuples du monde. Les faits nous ont donné raison (…) En 2001, il n’y avait pas de Président Lula – il était juste un participant au FSM – et il n’y avait pas de Président Obama. En 2009, nous pouvons affirmer : “Un autre monde est possible”. »

Gros plan sur l’Amazonie…

Chaque FSM a sa saveur unique. L’aspect le plus évident de celui-ci est la présence de milliers d’indigènes de l’Amazonie [1]. Le forum officiel a commencé le 28 janvier avec la journée de solidarité pan-amazonienne pour échanger, partager et débattre les questions de justice environnementale, sociale et économique qui affectent les communautés le plus marginalisées et les populations de l’Amazonie. La justice climatique a été une des questions clés du forum [2]. Père Leonardo Boff, célèbre éco-théologien de la libération, a fait un discours poétique et philosophique, évoquant la fièvre qui frappe la Terre-Mère et le besoin d’en prendre soin et de l’aimer.

... avec un éclairage sur le reste de la planète

La colère contre le bombardement de Gaza et l’exposition pour la cause palestinienne sont très soutenues au campus de l’Université fédérale de Pará (UFPA), un des lieux clés du forum. La célébration du 50e anniversaire de la révolution cubaine attire de l’attention. Le professeur David Harvey, théoricien urbain, parle d’un nouveau mouvement populaire pour le droit à la ville. Devant plus de 1 000 personnes, Harvey conclut ainsi sa présentation sur la crise économique actuelle et son impact sur les pauvres : « Nous devons poser la question : Qu’est-ce qui est plus important, la valeur des banques ou la valeur de l’humanité ? Le système bancaire doit servir les gens, non s’en nourrir. Nous ne pourrons vraiment exercer notre droit à la ville qu’en prenant en main la question de l’absorption des excédents capitalistes. Nous devons socialiser les excédents du capital et les utiliser pour satisfaire les besoins sociaux. »

Sur le plan mondial, un des résultats du processus du forum social est la solidarité sud-sud entre l’Afrique, l’Asie et l’Amérique latine. Wahu Kaara, activiste passionnée de Nairobi, en résume l’esprit : « Nous devons mener une véritable démocratisation populaire – qui traverse les sexes, les races et les continents. Nous n’avons pas besoin de la démocratie emballée et importée des États-Unis, une démocratie menée par le “grand argent” et les grandes corporations. »

Le FSM est beaucoup de choses pour beaucoup de gens…

Avec des centaines de séminaires, de discussions, de débats, de stands et environ 150 000 participants, le FSM peut ressembler à une foire de confusion et de causes. Le FSM est beaucoup de choses pour beaucoup de gens. Pour certains, il s’agit de démocratie numérique, de logiciels libres et de mobilisation. Pour d’autres, il ne s’agit que des indigènes. Les FSM a moins à voir avec des solutions définitives et des résolutions. Il a plus à voir avec les explorations, les voyages partagés et une recherche collective d’alternatives. Le FSM signifie le pluralisme, la diversité des langues, des idées et des actions éparpillées dans le monde entier.

… et gagnerait à être réinventé avec des axes mieux définis

Une des critiques principales contre le FSM est son apparente anarchie et sa volonté de donner un espace à toutes sortes d’accros aux causes. Le groupe éco-porno et les groupes nudistes ont signalé leur présence en défilant le soir. Puis il y avait le groupe Haré Krishna qui faisait la promotion du végétarisme et du culte du bhakti. Il est probable que beaucoup d’acteurs et d’organisations n’étaient pas engagés sur la Charte du FSM. Si une telle diversité fait du FSM un événement intéressant et plein de couleurs, cela peut aussi détourner l’attention de sa mission sérieuse qui est de chercher des alternatives politiques viables pour un monde meilleur.

La nature de plus en plus chaotique d’événements et de participation peut appeler à mieux définir et organiser le FSM en matière de problématiques, aux d’idées et de participation. Il faudra peut-être réinventer le FSM pour affronter les nouveaux défis d’un monde et d’un ordre mondial émergents.

Crédits des photos sous licence Creative Commons :

 Intervenants d’Israël et de Palestine, manifestation, et les Présidents Lula et Chavez par Luis Carlos Díaz, periodismo de paz
 Portrait amazonien par Wilfried Maurin