· Auteur du texte : Alessandro Guiglia
· Date de rédaction :
septembre 2000
· Responsables de la thématique : Alessandro Guiglia
et Elise Massicard
Préambule
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Pour la rédaction de ce document de discussion,
nous avons analysé la production intellectuelle de certains
juristes, philosophes, politologues et hommes politiques d'hier
et d'aujourd'hui qui, biensûr, ont des jugements, orientations
et propos divers.
Il est évident que le recours à la pensée
de J. Habermas est clairement dominant, de même que de manière
générale, la rédaction de ce texte se ressent
de l'orientation subjective de ses auteurs.
Nous sommes également conscients de l'inévitable
schématisme du document dû en grande partie à
sa nécessaire brièveté et au choix qui a
été fait de réaliser un collage des idées
et affirmations de différents auteurs. Nous considérons
cependant que le rôle d'instrument de travail pour stimuler
la réflexion, dévolu à ce texte, permet d'accepter
de telles limites.
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1. Constats
Déficit démocratique
de l'Union européenne
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La situation actuelle de l'Union européenne est caractérisée
par une contradiction de type constitutionnel.
D'un côté, il s'agit d'une organisation supranationale
fondée sur des traités de droit international, dépourvue
des pouvoirs caractéristiques d'un Etat constitutionnel
moderne fondé sur le monopole du pouvoir et sur une souveraineté
interne et externe.
De l'autre, les organes de la Communauté produisent une
législation européenne contraignante pour ses Etats
membres ; elle détient donc une autorité qui jusqu'à
présent était réservée aux seuls Etats.
De cette contradiction découle un déficit démocratique
évident.
Les décisions de la Commission, du Conseil des ministres,
comme celles de la Cour de justice européenne influent
profondément sur les relations internes des Etats membres.
L'exécutif européen est en mesure d'imposer ses
propres décisions à l'encontre des gouvernements
nationaux qui n'appliqueraient pas ses délibérations.
Délibérations qui, par ailleurs, reçoivent
une légitimation démocratique non pas du Parlement
européen, qui a des compétences limitées,
mais de chaque parlement national, sous la forme d'une ratification
des accords entre les gouvernements et la Commission.
Un des exemples les plus frappants de cette diminution de souveraineté
aussi bien interne qu'externe que connaissent les Etats nations,
est la naissance de la monnaie unique gérée par
une Banque centrale européenne, en toute autonomie, sans
qu'existe un instrument politique supplétif, permettant
un contrôle démocratique au niveau communautaire.
Il en résulte qu'un acte politique aussi important du point
de vue du processus d'unification politique de l'Europe devient
un choix qui renforce l'idéologie suivante : primauté
de l'économie sur la politique, autonomie et supériorité
des techniciens sur les représentants politiques passés
au crible électoral ; en d'autres termes, une tendance,
au nom du décisionnisme, à l'opposition du contrôle
démocratique sur la politique économique.
Le choix tactique qui a été gagnant des promoteurs
de l'Union européenne, dans l'immédiat après-guerre,
fut de solutionner chaque problème économique de
façon à favoriser la reconstruction et à
éliminer les éléments de compétitivité
économique productive (à l'origine des guerres infra
européennes). Aujourd'hui, lorsque ce choix nous est reproposé
(par les fonctionnalistes) à travers la théorie
de la " traction " de la politique par l'économie,
comme une stratégie à adopter, elle devient alors
une entrave au processus d'unification politique au sens démocratique
du terme.
De plus, la triangulation Parlement, Commission et Conseil des
ministres, outre qu'elle est peu connue des citoyens européens,
conserve de nombreux éléments d'ambiguïté.
L'innovation du circuit, par essence positive, - analyse du problème
et préparation de la décision pour le résoudre
(réalisés par la Commission), décision (Conseil),
mise en application (opérée par la Commission)-,
manque cependant de transparence et est à l'origine de
processus non démocratiques et de choix erronés.
En effet, dans la préparation à huis clos des décisions,
se vérifie une perméabilité à l'égard
des pressions des lobbies économiques envers les fonctionnaires
de la Commission. Dans la phase de décision, on assiste
à un marchandage et à des compromis de la part des
ministres pour défendre les intérêts nationaux
(vache folle, politique agricole commune). Enfin dans les phases
de réalisation et par la suite d'évaluation, apparaissent
au contraire des comportements technocratiques.
Dans aucune de ces phases n'intervient un contrôle démocratique
de niveau européen.
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Etat et nation
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Il semble utile, même si cela peut paraître
scolaire et évident, de rappeler quelques caractéristiques
de l'Etat moderne qui s'est imposé comme modèle au
siècle dernier et de spécifier certaines définitions
terminologiques.
L'Etat est un concept juridique qui se réfère à
la souveraineté intérieure et extérieure du
pouvoir de l'Etat, en référence à un territoire
défini comme limites de l'Etat et à l'ensemble des
ressortissants considérés comme peuple de cet Etat.
Le concept de nation indique une communauté politique marquée
par une identité ethnique, linguistique, culturelle et historique.
Dans l'expérience historique européenne, on peut distinguer
deux processus de formation de l'Etat nation : des Etats qui sont
devenus des nations (France) et des nations préexistantes
à la formation de l'Etat (Italie, Allemagne).
L'Etat organise son pouvoir à travers l'instrument du droit
positif ; avec la séparation du droit privé et du
droit public, chaque citoyen acquiert un cadre substantiel d'autonomie
privée.
Dans un régime de séparation entre l'Etat et les activités
productives et commerciales, l'Etat fournit les conditions générales
de production, le cadre juridique et les infrastructures destinées
au commerce capitaliste des marchandises et à l'organisation
du travail social.
Le besoin financier de l'Etat est couvert par les prélèvements
fiscaux.
L'émergence d'une conscience nationale
a rendu possible une forme d'intégration sociale à
travers la participation à des structures décisionnelles
de type politique qui a permis de créer le statut de citoyenneté
politique, un nouvel échelon de solidarité politique,
une source sécularisée de légitimation.
La nation comprend deux acceptions : la nation
des citoyens, voulue, source de légitimation démocratique
alors que la nation des ressortissants ethniques, innée,
est la base de l'intégration sociale.
Les citoyens sont ceux qui prennent l'initiative de constituer
une association politique de gens libres et égaux ; les
ressortissants ethniques sont ceux qui sont nés dans une
communauté caractérisée par la même
langue, histoire et culture.
La tension entre l'universalisme d'une communauté juridique
égalitaire et le particularisme d'une communauté
historique de destin est constitutive de l'Etat nation.
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Crise de l'Etat nation |
Aujourd'hui l'Etat nation est menacé de l'intérieur
par le multiculturalisme et de l'extérieur par les problèmes
de la globalisation, ce qui rend plus difficile de conjuguer "
nation des citoyens " avec " nation ethnique ".
De plus, la crise paraît accentuée par la baisse
de la participation démocratique des citoyens.
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Mondialisation
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L'Etat nation était caractérisé
par un rapport complémentaire de l'Etat et de l'économie,
de politique intérieure et de concurrence internationale.
Cette situation disparaît lorsque la politique nationale
ne peut plus influencer l'économie du pays.
La croissance économique dépendait de facteurs qui
valorisaient à la fois le capital et la population dans
son ensemble. Car en effet, elle dépendait de l'expansion
de la consommation de masse, de la croissance des forces productives,
de la qualification de la main-d'uvre couplée à
l'expansion du système de formation et indirectement du
développement des services offerts aux citoyens.
La dénationalisation de la production économique
a modifié ces conditions.
L'accélération du développement et de la
diffusion des nouvelles technologies pour augmenter la productivité,
l'élargissement du marché du travail vers des zones
du monde aux coûts bien inférieurs, la désindustrialisation
qui retire des capitaux du secteur producteur pour des spéculations
financières, ont créé des problèmes
d'emploi dramatiques.
La politique nationale perd le contrôle sur les conditions
de production qui génèrent des profits imposables.
Pour poursuivre la compétitivité internationale,
la politique finit par accepter des taux de chômage structurel
élevés, une déréglementation du marché
du travail et le démantèlement du welfare state
dans son ensemble.
La paupérisation, l'exclusion sociale, les tensions et
l'insécurité qui en résultent, génèrent
des comportements auto-destructeurs et rébellion, délinquance
et intolérance, souvent contrôlables uniquement par
des instruments répressifs.
D'où une érosion mentale de la société
qui endommage le noyau universaliste des communautés républicaines.
La légitimité des procédures et des institutions
s'en trouve corrodée lorsque les décisions majoritaires,
formellement correctes, reflètent seulement les peurs d'une
classe moyenne menacée de déclassement.
Ainsi est compromise la conquête plus caractéristique
de l'Etat nation, à savoir l'intégration de la population
obtenue grâce à la participation démocratique.
Le processus de construction d'un acteur supranational,
que les Etats européens ont entrepris, peut constituer
la réponse politique à l'expansion des marchés
à condition que ce nouvel acteur puisse assumer les caractéristiques
d'un Etat capable de réaliser une politique financière,
économique et sociale, en assujettissant les vieux Etats
nationaux.
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Multiculturalisme
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La supposée homogénéité linguistique,
religieuse, culturelle et historique des citoyens appartenant
à la même ethnie et vivant sur le territoire de l'Etat,
considérée comme la condition fondamentale de la
nation et la base de l'intégration sociale dans les Etats
nations européens, est aujourd'hui en rapide transformation
et connaît une tendance au multiculturalisme.
Plusieurs phénomènes sont à l'origine de
cette transformation, parmi lesquels le plus évident et
aujourd'hui le plus discuté, est celui de l'immigration
en Europe de personnes originaires de pays de cultures très
différentes, avec de fortes identités culturelles.
Il serait pourtant erroné de négliger d'autres aspects
de différenciations culturelles, endogènes à
la citoyenneté d'origine, issus de l'évolution des
coutumes de vie. La forte diminution de référence
religieuse suite à la sécularisation, l'importante
modification du rapport homme-femme, la chute des tabous sexuels,
l'attitude différente face au travail conséquente
de la déréglementation, génèrent des
comportements existentiels diversifiés. Il en résulte
des luttes pour la reconnaissance de groupes mais surtout de modes
de vie : égalité des chances pour les femmes, autonomie
de la femme dans le choix de l'interruption de grossesse, reconnaissance
du concubinage et reconnaissance de l'homosexualité, droit
pour les jeunes filles musulmanes de porter le voile à
l'école, etc.
Le multiculturalisme requiert une évolution
du droit dans un Etat démocratique. Le fait d'être
pleinement et publiquement reconnus comme citoyens égaux
exige deux formes de respect :
- respect de l'identité unique de chaque individu ;
- respect de la manière de voir le monde et des modalités
pratiques de vie de groupes de citoyens.
Si la démocratie est pluralisme des individualités
collectives et des modèles de vie, elle produira une solidarité
entre personnes qui se reconnaissent le droit de demeurer réciproquement
étrangers.
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Participation politique
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Dans tous les Etats nations européens, on assiste à
une baisse de la participation électorale, souvent lue
comme une désaffection des citoyens à la participation
démocratique.
Simultanément, on observe le développement de formes
nombreuses et diversifiées d'association et de bénévolat
des citoyens, empreintes de solidarité politico-sociale,
indépendantes des institutions politiques et parfois même
contre celles-ci.
Le déficit démocratique des Etats
nations est plutôt une crise structurelle de la démocratie
déléguée et une méfiance des citoyens
vis-à-vis des institutions du gouvernement.
Le choix de représentants tous les quatre ou cinq ans,
sans la possibilité de contrôle entre deux élections,
est un mode imparfait d'identification de la volonté des
électeurs.
La perspective de modèles alternatifs à la structure
capitaliste étant caduque, les choix de politique économique
de la part des Etats perdant partiellement de leur substance,
les programmes présentés par les partis se différencient
sur des aspects qui peuvent apparaître comme insignifiants
aux électeurs.
Les partis ont renoncé au rôle pédagogique
de formation des opinions et d'élaboration de projets de
société auprès des citoyens. Les campagnes
électorales présentent un caractère publicitaire
: faire élire un représentant est comme vendre un
produit. Les sondages d'opinion se sont substitués à
l'écoute du citoyen ; au moment de choix difficiles, on
sonde l'humeur des votants potentiels au lieu de rechercher la
meilleure solution tenant compte du bien commun.
La disparité des situations économiques,
de l'instruction et des conditions sociales qui existaient au
siècle dernier s'étant atténuée, l'écart
de compétence entre le politicien à qui est confiée
la représentativité et le citoyen électeur,
se réduit. Les citoyens adoptent aujourd'hui une attitude
plus critique et des formes de résistance passive face
aux gouvernants ; ils réclament une implication directe
dans l'élaboration des choix, c'est-à-dire qu'ils
expriment une demande de démocratie participative.
La politique gouvernementale n'est pas en mesure
de fournir des réponses adéquates aux problèmes
de long terme (protection environnementale, criminalité
internationale, spéculation financière, etc.) Elle
se concentre trop sur les problèmes de contingence et de
gestion courante, ce qui génère parmi les citoyens
un sentiment d'insécurité et d'impuissance.
La perspective de la construction d'une Europe
démocratique pourrait être une occasion de rapprochement
des citoyens à la politique, en les impliquant dans un
processus transparent, rompant avec l'attitude actuelle des "
eurocrates " (" ne pas déranger le conducteur
").
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2. Pistes de réflexion et de recherche |
La réflexion proposée vise la recherche
d'une réponse à la question : est-il possible et
comment mettre en place un gouvernement démocratique des
Etats du continent européen ?
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Citoyenneté / Démocratie
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La citoyenneté est le statut du rapport qui
existe entre une personne et une société politique,
dénommée Etat, par lequel la personne doit loyauté
et l'Etat protection. La citoyenneté est le statut du citoyen
dans une société démocratique basée
sur la primauté de la loi et sur le principe de l'égalité.
Les droits de citoyenneté concernent essentiellement
la nature de la participation sociale des personnes au sein de
la communauté en tant que membres de droit pleinement reconnus.
La citoyenneté peut être considérée
comme l'habilitation à accéder à certains
biens qui revêtent la forme de droits (civils, sociaux,
politiques). La politique est le régulateur de cet accès.
La citoyenneté implique également l'engagement à
contribuer à la production des biens-droits, elle exige
donc d'être conscients d'avoir des contraintes de réciprocité
(devoirs des citoyens).
La " citoyennisation " en Occident a été
un processus historique de l'individu comme sujet politique se
trouvant directement face à l'Etat, sans corps intermédiaires.
De ces définitions recueillies chez différents auteurs,
il résulte que les conditions nécessaires de la
citoyenneté et donc de la démocratie ne sont pas
les produits d'un peuple ethniquement homogène mais bien
d'une société qui veut se constituer en unité
politique.
Naturellement cette unité politique doit avoir une identité
collective, obéir aux mêmes règles et exercer
une solidarité, c'est-à-dire se doter d'une charte
constitutionnelle.
Le welfare, caractéristique des Etats européens,
a été construit sous la poussée des luttes
ouvrières mais aussi comme processus de développement
du concept de citoyenneté.
Il doit être considéré comme instrument de
développement de la démocratie en tant que modalité
de réalisation de la solidarité dans l'Etat nation,
comme instrument de garantie de la cohésion sociale.
La mise en discussion du welfare, qui confie au marché
la fourniture des services qu'il garantissait aux citoyens de
manière universelle, produit inévitablement une
mutation du rapport entre le simple citoyen et la collectivité,
et vide la citoyenneté de ses contenus de solidarité
et d'égalité.
La citoyenneté démocratique peut être une
force d'intégration, c'est-à-dire fonder une solidarité
entre étrangers seulement si elle se confirme comme mécanisme
capable de rassembler les conditions matériels nécessaires
aux formes de vie souhaitées.
La démocratie qui garantit des droits à la liberté
privée et à la participation politique doit être
aussi rémunérative dans la jouissance des droits
à la répartition sociale et culturelle. Les citoyens
doivent pouvoir expérimenter la valeur d'usage de leurs
droits par la sécurité sociale comme par la reconnaissance
réciproque de modes de vie culturels divers.
En d'autres termes, le welfare state est partie intégrante
de la démocratie et un démantèlement du welfare
pourrait entraîner inévitablement une réduction
de la démocratie effective.
La démocratie, considérée
comme participation du " démos " aux décisions
concernant la collectivité, ne peut être limitée
à l'élection de représentants du Parlement,
des Conseils régionaux, départementaux et municipaux.
La baisse généralisée de la participation
électorale dans les Etats démocratiques européens
ne doit pas être interprétée exclusivement
comme l'augmentation de l'individualisme et le renoncement au
droit politique participatif mais plutôt, ainsi que nous
l'avons dit précédemment, comme la méfiance
à l'encontre du modèle de démocratie représentative.
Dans l'expérience commune des Etats européens les
formes de démocratie vont bien au-delà des élections.
En particulier, la participation à la formulation des décisions
est quasiment institutionnalisée avec la concertation des
forces sociales (syndicats de travailleurs et syndicats patronaux),
mais aussi avec la consultation des différentes représentations
des citoyens, groupes économiques, corporations, etc.
Les organisations non gouvernementales, le tissu associatif, les
regroupements de protestation qui se créent sur des problèmes
spécifiques, les manifestations, les débats et les
campagnes ainsi que la société civile en général
ont indirectement une incidence sur les choix et les décisions
aux différents niveaux gouvernementaux.
En particulier, les instruments d'information de masse qui reflètent
et simultanément forment l'opinion publique ont une importance
dans la dynamique de participation.
Cependant, l'utilisation de formes de participation directe, expérimentées
et formalisées (conférences citoyennes, conférences
de consensus, forums citoyens, noyaux d'intervention participative,
jurys citoyens, sondages d'opinion délibératifs,
etc.) ont du mal à s'affirmer.
L'acquisition de pouvoir que confère la représentation
est une interprétation perverse dont la diffusion est un
sujet d'inquiétude, car elle véhicule et fait réapparaître
dans la culture politique des formes d'autoritarisme telles que
: résistance à toute forme de participation directe
des citoyens, recherche des systèmes électoraux
majoritaires pour limiter la représentation des minorités
au nom de la stabilité du gouvernement, utilisation des
processus de décentralisation pour construire de nouveaux
centralismes à des niveaux inférieurs.
Il n'est pas possible de réfléchir
sur la citoyenneté et la démocratie sans se poser
le problème du statut du citoyen immigré, résident
de manière stable dans nos sociétés. Il est
contraint dans les faits à respecter les obligations des
citoyens autochtones, travaille et donc participe à la
formation du produit intérieur brut, paie des impôts
et participe ainsi au financement de la solidarité, mais
quels droits de citoyenneté acquiert-il ?
Dans le projet d'une citoyenneté européenne, devra
être repris le concept, analysé dans certains Etats
européens, du citoyen résident, qui envisage l'acquisition
du droit politique au niveau communal (actif et passif), en fixant
probablement un délai pour l'accès à la citoyenneté
européenne complète.
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Identité/intégration
sociale
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La seconde section de la Cour constitutionnelle allemande a rendu
le 12.10.1993 la sentence suivante :
a) la légitimation démocratique
des décisions politiques est uniquement possible si la
communauté politique est l'expression d'un démos
organique, en d'autres termes d'un " peuple " culturellement,
linguistiquement et de manière implicite ethniquement
homogène ;
b) l'Europe n'existe pas ni n'existera un démos de ce
type ;
c) la légitimation des décisions européennes
réside toujours au sein des parlements nationaux étant
donné que " l'union des Etats " doit être
uniquement sujette aux " pleins pouvoirs des Etats qui
demeurent souverains ".
Cette sentence se base sur un concept d'identité
collective conçue en termes prépolitiques et extra-juridiques.
En opposition, l'avis de J. Habermas est en substance : "
l'unique conception de la cohabitation socio-politique
capable d'apporter une réponse pratique aux problèmes
d'une société en transformation doit faire référence
non pas à l'identité historico-culturelle de la
communauté, mais bien aux multiples formes de communication
inter-subjective. Il faut différencier la dimension politique
de l'identité collective de la dimension sociale. La culture
politique partagée devient le réseau qui s'étend
sur toutes les identités non politiques (culture, religion,
ethnie), comprise dans un territoire déterminé,
tout en permettant la cohabitation ".
Trois formes de communication inter-subjective
peuvent être identifiées, qui correspondent aux formations
de trois dimensions distinctes de l'identité collective,
présentes en même temps dans chaque individu :
1) dimension " transcendantale ",
implique tous les êtres humains en tant que tels, c'est-à-dire
sans présupposer des affinités politiques, religieuses
ou culturelles particulières : ceci représente
la sphère de tutelle des droits humains au niveau planétaire
;
2) interaction " politique " entre êtres humains
qui décident collectivement d'ordonner les structures
politiques et sociales. Le but de cette forme de communication
est d'établir des normes pour la régulation des
rapports sociaux, l'accès aux processus décisionnels,
l'allocation des ressources et les droits et devoirs des citoyens
;
3) interaction " culturelle " entre individus caractérisés
par une histoire commune, des traditions ethniques ou religieuses
partagées, une idée collective sur les critères
fondamentaux d'une " bonne vie " et qui s'engagent
à garantir la survivance des valeurs en lesquelles ils
croient ou des formes de vie qui constituent le niveau spécifique
de leur identité.
Cette distinction entre les différentes
sphères de l'identité individuelle et collective
permet de mettre en pièces la fusion ambiguë, propre
à l'Etat-nation, qui existe entre la sphère politique
et la sphère ethnico-culturelle.
Vue de cette perspective, l'intégration politique européenne,
qui se base sur un sentiment d'appartenance et de citoyenneté
européenne, est possible si elle se nourrit de son histoire
commune sans vouloir se substituer aux cultures locales. Les citoyens
des Etats européens restent membres de leur nation à
tous les effets, en développant simultanément un
sentiment d'appartenance à la réalité supranationale
de l'Europe Unie.
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Systèmes de gouvernement
/
innovations institutionnelles
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Dans la phase historique politique actuelle de
crise de la souveraineté des Etats nations et de stagnation
de la construction de l'Union européenne en tant qu'entité
de gouvernement supranational, la recherche d'innovations institutionnelles,
démocratiques et efficaces, ne peut se limiter au niveau
supranational mais doit envisager une réflexion à
tous les niveaux de gouvernance, du niveau communal au niveau
continental.
Le fil conducteur de cette réflexion doit être la
recherche d'un surplus de démocratie.
Le premier élément à considérer est
le double processus en cours dans la quasi-totalité de
l'Europe : la décentralisation des gouvernements nationaux
avec le transfert de pouvoir et d'autonomie aux régions
et aux communes et la centralisation au niveau supranational avec
le transfert d'éléments de souveraineté étatique
à l'Union européenne.
La décentralisation est née d'au
moins trois exigences :
1) la réponse aux revendications identitaires
régionales qui dans certains Etats a abouti à
une structure de type fédéral (Espagne, Belgique,
Allemagne et partiellement en Angleterre et en Italie) alors
que dans d'autres, elle est encore source de luttes et de tensions
(France) ;
2) accroître la participation démocratique en rapprochant
les organes du gouvernement de la population impliquée
par leurs décisions ;
3) la recherche d'une meilleure efficacité des actions
gouvernementales, de la décentralisation fonctionnelle,
de la rationalisation de l'appareil de gestion d'Etat.
Ces deux mouvements sont contradictoires seulement
en apparence, en réalité ils expriment une profonde
exigence de remodeler le système politique dans son ensemble
soit pour le rendre plus efficace par rapport au nouvel ordre
mondial (économique, politique, sociale), soit pour le
rendre plus respectueux des identités spécifiques
des populations et de la demande plus incisive d'une participation
démocratique.
La recherche d'innovation institutionnelle destinée au
gouvernement démocratique de l'Europe demande d'intervenir
sur l'ensemble du système de gouvernement des territoires
et des populations européens. La discussion aujourd'hui
sur la formule institutionnelle à donner à l'Union
européenne est déviante si elle ne s'étend
pas à l'intégralité du système de
gouvernement : les communes, les départements et/ou les
régions, les Etats et l'Europe.
L'effort créatif requis consiste à éviter
l'homologation modélistique tout en sauvegardant et acceptant
les diversités de statut, des formules d'exécutifs,
des modalités électorales, etc. ; et à définir
les rôles et les apports des différents niveaux au
gouvernement central de l'Union européenne.
Il s'agit d'appliquer le principe de subsidiarité active,
c'est-à-dire que chaque niveau de gouvernement doit résoudre,
en toute autonomie, les problèmes qui sont à son
échelle, sans l'interférence des niveaux supérieurs
(principe de subsidiarité) mais de manière active,
avec l'obligation de coopération entre les différents
niveaux de manière à répondre à la
complexité et à l'interdépendance des problèmes.
Le principe de subsidiarité active permet de définir
les articulations entre les différents niveaux sans fixer
de règles rigides appliquées uniformément
mais de définir en revanche, à travers une recherche
commune organisée par le niveau immédiatement supérieur,
des lignes directrices qui garantissent la cohérence de
l'ensemble du système.
Il revient ensuite à chaque niveau, en fonction de ses
propres spécificités, de décider du meilleur
moyen d'appliquer les principes directifs.
Ce type d'approche pourrait permettre, grâce à des
procédés d'évaluation collectifs des résultats
et d'applicabilité des lignes directrices, de maintenir
une adéquation dynamique des modalités d'articulation
entre les différents niveaux.
Il s'agit, en dernier lieu, de la proposition d'une forme innovante
de fédéralisme étendu à tout le système
de " gouvernance ", depuis la commune jusqu'au gouvernement
central de l'Union européenne.
Parmi les nombreux citoyens des Etats européens
qui ressentent déjà un sentiment d'appartenance
européenne, existe la conviction que l'on doit réaliser
une Europe des régions (et non des patries !). Dans cette
phase si importante pour l'avenir des Etats unis d'Europe mais
aussi pour les formes futures de gouvernance de la planète
Terre, celui qui détient le pouvoir décisionnel
d'orientation concernant les choix institutionnels qui conditionneront
les modalités de construction des Etats unis d'Europe,
est le personnel politique qui fonde son pouvoir sur les Etats
nations, c'est-à-dire sur le niveau institutionnel qui
doit céder le pouvoir aussi bien vers le bas que vers le
haut.
Le paradoxe est que les représentants politiques des populations
européennes ont été choisis avec des logiques
et des dynamiques exclusivement internes à chaque Etat,
et non sur la base d'un mandat pour la construction de l'Europe.
Comme le dit le président Chirac, " la construction
communautaire est trop longtemps restée l'affaire de ses
dirigeants et de ses élites. Il est temps que nos peuples
redeviennent les souverains de l'Europe ". Fischer est encore
plus drastique
" une révolution démocratique
contre l'Ancien régime de Bruxelles est nécessaire
".
De là, la proposition de l'Alliance, qui sera reprise ultérieurement
dans ce texte, de produire cette réflexion/recherche dont
la base serait le lancement, entre 2001 et 2004 d'un ample mouvement
de débat entre les citoyens européens sur "
l'Europe que nous voulons " de manière à leur
redonner la parole.
La légitimation démocratique de
tous les niveaux de gouvernement devra être garantie, comme
elle l'est déjà aujourd'hui, par l'élection
- par des citoyens concertés- de Conseils et/ou d'Assemblées
et de Parlements (y compris celui européen) qui seront
la base des modalités de formation, gestion et contrôle
des exécutifs du pouvoir décisionnel spécifique
au niveau de gouvernement. Naturellement chaque " fédération
" nationale définira de manière autonome les
articulations de pouvoir à octroyer aux Conseils et aux
Assemblées en particulier pour la fonction de production
législative.
Le niveau du gouvernement central de l'Union,
totalement à inventer tout en tenant compte de l'expérience
acquise jusqu'à présent, devra impliquer tous les
citoyens européens soit par l'intermédiaire de ses
délégués élus dans leur propre parlement
national soit en élisant des représentants à
une Assemblée constituante européenne qui pourrait
également coïncider avec l'actuel Parlement européen.
Comme nous y avons déjà fait allusion
dans le diagnostic initial, il serait utile de récupérer
les éléments positifs de l'expérience qui
consiste à maintenir une séparation entre le pouvoir
d'élaboration et de formulation des propositions et le
pouvoir décisionnel. Mais précisément parce
que le pouvoir de proposition est déterminant, il est nécessaire
de garantir la transparence et le contrôle de l'organe auquel
est confiée cette tâche.
Pour éviter le grave déficit actuel qui est généré
par le pouvoir discrétionnaire des fonctionnaires dans
le choix des " experts " et par la pression des lobbies
qui représentent des intérêts économiques
et autres, il est important, pour une démocratisation de
cette phase, d'utiliser les expériences des conférences
citoyennes de consensus, les forums citoyens, la méthodologie
des NIP (noyaux d'intervention participative), les auditions publiques,
etc. Pour les thèmes importants on pourrait également
penser à la constitution de commissions ad hoc au sein
des Parlements nationaux.
Le problème de fond demeure le suivant
: comment bâtir le système de gouvernement central
de l'Union ?
La Commission, sous la présidence de M. Prodi, cherche
à combler des lacunes flagrantes, à rationaliser
son opérationnalité, ce qui peut se révéler
utile en période transitoire mais reste une simple rationalisation
alors que le problème que les Etats membres doivent affronter
est, comme le proposent Fischer et Chirac, le choix institutionnel
de l'Union.
Cette réflexion et cette recherche n'ont
pas pour objectif de définir la place du gouvernement central
en termes juridico-institutionnels, mais de fournir des éléments
de garantie démocratique dans la perspective de la "
Grande Europe ".
Une hypothèse un peu fantaisiste pourrait être la
suivante :
- les citoyens de toute l'Europe élisent sur des listes
de candidatures européennes, les membres du Parlement européen,
garant de la légitimité démocratique, ayant
un rôle législatif et de nomination et contrôle
de la Commission ;
- les parlements nationaux éliraient les membres de la
Chambre des Etats qui nommerait un Conseil exécutif, c'est-à-dire
le pouvoir décisionnel, le gouvernement ;
- la Commission conserverait son pouvoir de proposition et de
mise en application des décisions ainsi que la gestion
des programmes européens.
Evidemment quelle que soit la structure du gouvernement
central, il sera nécessaire que soit rédigée
une charte constitutionnelle par le Parlement ou par une Assemblée
constituante élue par les citoyens européens, qui
devra ensuite être soumise à une validation par référendum.
Dans la préparation, il est nécessaire
:
1) que la Commission stimule et appuie, même
financièrement, les initiatives de débat entre
les citoyens de l'Union ; que le Parlement accepte les propositions
et suggestions des groupes de citoyens et organise des auditions
publiques sur les principaux thèmes concernant les droits
de citoyenneté européenne et les instruments de
démocratie ;
2) que s'institue un système de participation de représentants
qualifiées des pays candidats ou aspirant à une
future entrée dans l'Union, pour participer à
l'élaboration de la future constitution. Cette participation
serait importante pour que l'on prenne en considération
la réalité de ces pays et pour surmonter le dilemme
pour savoir s'il faut définir les règles avant
ou après l'élargissement.
Cette dernière précaution devra être requise
également pour ce qui concerne les activités d'harmonisation
du droit en général et des droits de la citoyenneté
en particulier.
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Acteurs
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"
d'un point de vue normatif, aucun
Etat fédéral européen ne pourra se prévaloir
du nom " d'Europe démocratique " si, dans le
cadre d'une culture partagée, ne se soit déjà
formée une sphère publique intégrée
à l'échelle européenne, une société
civile avec ses propres groupes d'intérêt, organisations
non gouvernementales, mouvements civils, etc. ainsi qu'un système
de parti adapté à l'arène européenne.
En somme, si ne s'est déjà formé un "
contexte de communication " qui transcende les limites des
sphères publiques jusqu'à présent circonscrites
au sens national " (Habermas).
La non existence d'une opinion publique européenne
est sûrement un des éléments qui retarde grandement
le processus de construction de l'Europe démocratique.
Pensons aux mass médias qui ont une structure banalement
national : dans les journaux, les nouvelles des autres pays européens,
quand il y en a, se trouvent sur la page " international
" au même titre que celles de Chine ou des USA ; pour
les prévisions météorologqiues à la
télévision, l'Italie englobe la Sardaigne mais pas
la Corse et vice-versa en France.
Ce n'est pas seulement une question de langue ou de provincialisme,
c'est un reste d'optique nationale.
Les partis, les syndicats, les associations et mouvements de citoyenneté
ont une structuration uniquement nationale, certes avec des liens
avec leurs homologues dans les autres pays mais encore dans une
optique de relations internationales. Il existe des réseaux
entre associations et initiatives sociales, mais qui sont restés
faibles parce que nés de la participation à des
projets financés par la Communauté qui requièrent
la transnationalité.
Les regroupements politiques européens réalisés
au sein du Parlement ne sont malheureusement plus aujourd'hui
des partis européens. Si l'on veut parvenir à élire
un parlement qui représente réellement les différentes
opinions politiques des citoyens européens, il faudra que
les partis présentent des listes de candidats pour l'Europe
sans logiques nationales.
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Questionnements pour
des propositions
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- Quelle Europe : dimensions géographiques, quels Etats,
quels critères de choix et d'acceptation ?
- Charte des droits fondamentaux ou constitution ?
- Constitution : Parlement européen ou Assemblée
constituante ?
- Quel rôle des différents niveaux de système
politique dans l'élaboration de la constitution ?
- Quelles modalités de participation de la société
civile et de la citoyenneté à la préparation
de la charte constitutionnelle et du pouvoir de proposition ?
- Comment construire une opinion publique européenne ?
- La question de la (des) langue(s) officielle(s)
- Droit européen, droits nationaux, cohérence ou
homogénéisation ?
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