Numéro 7 | Décembre 2000 | ||||
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Pour un tourisme durable En ce matin de juillet, la plage de Palmarin Séssène est encore toute humide de la bruine de la veille. Seuls les vents de la mer, le bruissement des vagues et des filaos viennent troubler le silence de ce campement qui a les pieds dans l'eau. A son réveil, Bruno, un touriste français, savoure cet isolement. « C'est trop calme ici ! », lance-t-il à Mohamed Tine, le jeune géant longiligne coiffé rasta. A en croire Mohamed, l'expression serait plutôt positive et rassurante puisque Bruno est venu en éclaireur. « C'est conclu ! En septembre, il va amener un groupe de touristes français. », dit Mohamed, confiant. « Au Sénégal, allez voir 'Ahmed le rasta' » Palmarin, à 150 km au sud de Dakar, ne se vend ni sur dépliants enchanteurs ni grâce aux publicités promotionnelles des agences de voyages. Seul fonctionne le bouche à oreille entre touristes. Cela, le gérant le vérifie à chaque nouvelle arrivée. « Au Sénégal, allez voir 'Ahmed le rasta', il est à Palmarin. », avait conseillé à Bruno des touristes venus d'Italie. Outre les Italiens, ce sont les Français, les Hollandais et les Allemands qui forment le gros de la clientèle. Mais les Japonais et les Américains aussi y font parfois un tour afin de visiter l'île aux oiseaux, la roseraie luxuriante de Keur Sambaz Dia classée patrimoine mondial par l'UNESCO - ou les îles du Saloum avec leurs belles mangroves. C'est à l'initiative de « fils du terroir », des fonctionnaires à la retraite, que ce centre a été construit par les villageois il y a vingt ans avec l'aide de la coopération française. De dix cases au départ, il en compte aujourd'hui plus de trente, toutes décorées de dessins d'oiseaux ou d'animaux. La gestion est entre les mains de la population qui décide du choix des investissements et de l'animation. « Chaque quartier du village a son représentant dans le comité de gestion. », explique le président du campement, Nicolas Balkoum, qui est aussi l'un des fondateurs. A Palmarin, l'animation est l'affaire de tous. Hommes, femmes et jeunes, chacun s'investit dans les activités. Pour preuve, ce groupe de vieux, qui nettoie chaque jeudi les alentours. « Les villageois constituent l'autre personnel. Ils font tout pour satisfaire les clients. », note Mohamed. Satisfaits, oui ! Mais tout en préservant la dignité des populations, sans prostituer leur culture ni détruire l'environnement social et l'économie. « Robert, un touriste français, a été élu parrain cette année, en reconnaissance à son appui aux jeunes, avec qui il s'est associé pour leur acheter une pirogue qui leur permet de travailler. », explique Mohamed. Et d'ajouter : « cette affaire a bien marché et a même entraîné l'achat d'une seconde pirogue payée 300 000 Francs CFA il y a trois ans. De quoi fixer ces jeunes, fils de pêcheurs, qui n'avaient d'yeux que pour l'Europe ou l'Amérique. Ceux qui ne vont pas en mer ont monté leur troupe musicale Afrique Djembé. Ici, le paysan du village, avec son poulailler ou son potager, tout comme le pêcheur, bénéficient de la présence de ce centre de vacances dont les recettes mensuelles sont estimées à un million de Francs CFA en haute saison, de décembre à avril. Les filles du village sont autorisées à travailler ! Les retombées sont visibles. Toutes sortes d'équipements collectifs ont été financés grâce aux revenus générés par le campement : le château d'eau, la clôture des cimetières, l'extension de l'école et la construction d'un dispensaire, aujourd'hui quasi terminée. Des dons de médicaments arrivent déjà. Une ambulance a même été offerte par un touriste suisse. Tout cela répond aux besoins des populations. Surtout ceux des femmes, jusque là évacuées en charrette lors d'un accouchement. Aujourd'hui, le campement de Palmarin n'étant plus perçu comme un lieu de débauche, les filles du village sont autorisées à travailler ! Il est considéré comme un réel moteur de développement et un lieu d'échanges. Des échanges qui, de part et d'autres, ont fait évoluer les mentalités. A ce propos, Nicolas Bakhoum aime rappeler le séjour d'un groupe de japonaises, il y a deux ans. « Elles ont été accueillies dans les familles et ont mangé à la main, le couscous de mil sur une natte. Elles ont apprécié le jus de bissap (oseille de Guinée). A leur départ, on a organisé une soirée folklorique : elles étaient habillées à l'africaine. Plus tard, elles nous ont envoyé des photos. Et leurs commentaires étaient plutôt positifs. ». Une bonne publicité pour cette destination originale, où la pension complète s'élève à 9 000 Francs CFA par jour et par personne. On est loin ici du tourisme balnéaire de masse qui, depuis vingt ans, se développe tous azimuts au Sénégal. Ce secteur, qui a attiré en 1999 un demi million de touristes et 100 milliards de Francs CFA de recettes, est aujourd'hui vivement critiqué par la presse sénégalaise, qui en fustige les dérives : prostitution, proxénétisme, etc. C'est dans ce contexte que Fimela et Marlodj, d'autres villages de la localité de Palmarin, tentent de se fédérer pour développer eux aussi le "tourisme rural intégré" (voir encadré). Même si, malgré les acquis, tout n'est pas rose à Palmarin. Le taux de fréquentation du campement, s'il atteint 80%, de décembre à avril, est quasi nul en été. Certains villageois critiquent la "gestion opaque". Palmarin doit aussi faire face à la concurrence des campements privés appartenant à des hommes d'affaires. « L'Etat doit veiller au rythme des constructions. Il faut éviter que la raison du plus fort soit la meilleure », dit avec philosophie Nicolas qui garde, malgré tout, beaucoup d'espoir. * Article paru dans le journal Walfadjiri (Dakar),8 août 2000
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