Le Forum Social Mondial est depuis 2001 une plate-forme unique pour l’expression de groupes et de réseaux actifs dans la recherche d’alternatives et le combat contre la mondialisation néo-libérale. Les forums sociaux ont émergé comme un nouveau type de rencontres, dont le respect de certains principes de base, comme la non-violence et la non-représentation des partis politiques, permet l’expression d’une grande diversité d’expressions et de points de vue.
Contrairement aux conférences officielles de toute sorte, ces forums ne cherchent pas à arriver à un accord sur une déclaration ou même un programme d’action commun. Leur meilleure description est celle de la Charte des Principes : « Le Forum Social Mondial est un espace de rencontre ouvert visant à approfondir la réflexion, le débat d’idées démocratique, la formulation de propositions, l’échange en toute liberté d’expériences, et l’articulation en vue d’actions efficaces, d’instances et de mouvements de la société civile qui s’opposent au néolibéralisme et à la domination du monde par le capital et toute forme d’impérialisme, et qui s’emploient à bâtir une société planétaire axée sur l’être humain. » Le Forum Social Mondial a l’ambition de devenir un « processus permanent de recherche et d’élaboration d’alternatives ».
Le premier Forum Social Mondial à Porto Alegre conjuguait enthousiasme et organisation improvisée, avec comme voix dominante celle de la protestation contre le néo-libéralisme. Sous principal succès a été d’affirmer haut et fort contre le Forum de Davos qu’ « Un autre monde est possible ». Au cours des forums suivants, les débats étaient davantage dirigés vers la formulation de propositions, mais il devenait de plus en plus évident qu’aucune personne ne pouvait en avoir une vue d’ensemble seule. Le nombre des réseaux participants, des questions discutées et des expériences racontées était tel que chacun devait choisir parmi un grand nombre d’opportunités de débats.
Il devint aussi évident, lorsque la dynamique du Forum Social Mondial emmena à sa troisième édition en 2003 près de 100,000 personnes à Porto Alegre, que sa croissance avait créé un étalement géographique du Forum, car désormais aucun lieu unique ne pouvait contenir tous les participants. On nota alors également la présence de différents niveaux de participation : Certaines personnes étaient venues écouter les étoiles de l’anti- et bientôt de l’alter-mondialisation, d’autres étaient impliquées avec leurs réseaux dans des ateliers et séminaires, qui représentaient des opportunités de dénonciation, de construction collective du nouvelles actions, beaucoup participaient individuellement à des ateliers, où ils pouvaient simplement échanger avec d’autres délégués, tandis que les jeunes du Camp de la Jeunesse, en nombre suffisant pour donner des cauchemars aux forces chargées d’assurer leur sécurité, bien organisés de façon autonome, avaient leurs propres événements, près des tentes dans lesquelles ils dormaient.
Pendant ce temps, la dynamique avait essaimé aux niveaux continentaux, nationaux, et même locaux. Des centaines de villes et des régions ont eu leurs forums sociaux locaux, tous les continents (sauf l’Océanie) ont leur forum annuel, et d’autres forums reçoivent l’appellation « forums thématiques ». Mais certains leaders de réseau, des célébrités du mouvement, et de simples participants motivés par la construction d’un processus capable de répondre à la mondialisation néolibérale, commencèrent à se rendre compte que la croissance du Forum Social Mondial présentait une série de contradictions qui limitait son efficacité comme outil pour cette dynamique. Le défi le plus urgent était, semble-t-il, de « mondialiser » le Forum Social Mondial, en le déplaçant hors du Brésil à une autre partie du monde en développement, pour assurer une plus grande participation des délégués des autres pays et contextes socio-culturels.
Le Forum Social Mondial de Mumbai a été une réponse positive à ce défi. Bien qu’il ait été préparé avec 3 à 4 fois moins de financements que celui de Porto Alegre, son organisation a été au même niveau que celle des forums antérieurs, et la participation des groupes asiatiques a été massive, de l’Inde au Népal, du Japon à la Corée. Ce Forum Social avait indéniablement une autre saveur, plus asiatique, mais aussi plus populaire que les précédents. L’affluence ont grandes conférences et séminaires a été plus réduite, et n’était pas nécessairement le point fort de l’événement pour de nombreux participants. Pour les délégués des groupes marginalisés, comme les dahlits (intouchables), les minorités ethniques et les travestis, il était aussi important de montrer leur présence par des manifestations dans les allées du Forum Social Mondial que d’organiser une grande conférence. Les 5000 troupes de théâtre officiellement enregistrées jouaient pour la plupart sur des petits ou moyens espaces prévus à cet effet des petites scènes en Hindi et dans d’autres langues asiatiques, illustrant la situation et les problèmes de leurs membres dans la société.
De nouveau, l’opposition à la guerre, comme tendance actuelle de l’impérialisme, a été le consensus le plus évident du forum. Jusqu’ici, cependant, les forums sociaux n’ont pas réussi à construire un consensus et une forte visibilité sur d’autres thèmes, et encore moins une dynamique permanente de réflexion et d’action sur les questions débattues trop brièvement durant ces événements. Pour de nombreux participants engagés dans ce processus, la préparation du prochain forum social, soit pour ses membres à travers les réunions du Comité International, soit dans leurs propres groupes, se fait à un rythme qui ne permet pas un bon échange par exemple au cours de rencontres intermédiaires avec d’autres groupes partageant l’intérêt pour les mêmes questions, ou la même philosophie.
Pour être un espace d’expression des alternatives, et un lieu où celles-ci se débattent, le Forum Social Mondial devrait simplement donner le temps à ces alternatives de s’exprimer au cours de rencontres plus ciblées. Les combiner pour dessiner une alternative globale représente aussi une tâche complexe et organique, qui nécessite plus d’interactions permanentes entre les groupes, mouvements et réseaux, lesquelles tardent à se mettre en place, 4 ans après la démonstration que pour beaucoup « Un autre monde est possible ».
De mon point de vue, ce type d’interactions est un processus qui commence tout juste, et qui devrait être une priorité à développer. Pour ce faire, nous avons besoin de plusieurs éléments :
Démontrer que nous pouvons vivre sur une base quotidienne une nouvelle culture de tolérance et de coopération. Personne n’a une réponse complète aux problèmes actuels, qu’ils soient sociaux, écologiques, économiques ou culturels. Il n’y a pas non plus de réponse unique d’ailleurs. Nous pouvons seulement construire ensemble ce que j’appellerais un « nuage de solutions », un horizon commun. Dans cette perspective, la proposition d’un espace d’échanges et de réflexions sur les pratiques solidaires lors du prochain Forum Social Mondial pourrait constituer une avancée du processus des forums.
Commencer à utiliser de nouvelles techniques de débat à distance, pour pouvoir discuter ces questions tout en continuant l’action quotidienne. Il est primordial de ne pas séparer la réflexion de l’action. Ceux qui débattent et réfléchissent doivent aussi agir, ou avoir le mandat et la confiance de ceux qui agissent.
Rendre visible les zones émergentes consensus dans le mouvement alter-mondialisation. Au-delà du refus de la guerre et des politiques néolibérales, le principe de la souveraineté alimentaire et le besoin de renforcer les biens publics à l’échelle mondiale semblent deux exemples de consensus qui n’ont pas été rendus suffisamment publics et débattus au-delà des groupes qui travaillent de façon continue sur ces questions.
Identifier les leviers stratégiques pour un changement et une bifurcation des chemins que l’humanité suit actuellement, et qui sont pour la plupart insoutenables.
Dans une étape postérieure, le processus mondial devrait être assez mûr pour construire des plans d’action qui respectent la diversité, tout en maximisant les effets des complémentarités entre pratiques et en tenant compte des pratiques et principes émergeants, ainsi que de l’identification des points de levier.
INFORMATIONS COMPLÉMENTAIRES
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Les allies au FSM
Le Forum Social Mondial
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