A qui appartient la ville ? [1]De qui est la ville ? Whose is the city ? se demandait la Fondation H. Böll dans un long mémorandum préparatoire au Sommet de Johannesburg en 2002 [2]. La ville « pour qui et par qui ? » se demandait semblablement l’UNESCO en préparation de Habitat II en 1996 [3].
Nous voudrions partir de là, « du droit à la ville ». Que recouvre-t-il, au Nord et au Sud, car ce sera une caractéristique de cet exposé que d’opérer un va et vient entre les villes du Nord et les villes du Sud .
Villes du Nord, villes compétitives qu’un certain consensus social arrange bien (OCDE), générant plus-value, ségrégation spatiale entre riches et pauvres, spécialisation fonctionnelle (UNESCO).
Villes du Sud ! L’accroissement de la population mondiale est de plus en plus le fait des villes du Sud, la pauvreté y est de plus en plus urbaine car la ville du Sud n’a pas tenu ses promesses en matière d’industrialisation ; les femmes du Sud urbain portent de plus en plus le poids de la pauvreté car ce sont elles, par les jardins urbains notamment qui assurent la nourriture [4]. A Kinshasa, « on se nourrit mystérieusement » assure T.Trefon [5].
Le « droit à la ville » ce fut au départ un concept d’Henri Lefèbvre [6]. Droit d’accéder à ce qui existe déjà mais aussi, on le remarquera plus tard, droit de changer la ville selon nos désirs et nos besoins. Qui sont les dépositaires d’un droit à la ville ? les citoyens électeurs, tout résident, les usagers (par exemple, les navetteurs qui vont et viennent) ? Faut-il considérer d’autres catégories : les personnes en situation de vulnérabilité, les pauvres monétaires, les SDF, les femmes souvent isolées, les personnes âgées, les enfants et les jeunes , les minorités ethniques, les immigrés, les déplacés, les réfugiés,… ?La réponse ne fait pas de doute.
A qui puis-je opposer ce droit à la ville ? Qui peut me le garantir ?Qui est en devoir vis-à-vis de moi à ce sujet ? le concept de gouvernance urbaine [7] est plus qu’une mode. C’est le résultat d’un partage de pouvoirs, encadré par la loi, du centre vers la périphérie. Le pouvoir est distribué entre les acteurs : autorités civiles, société civile, autres parties prenantes, notamment dans le privé, les forces du marché. De la part de la société civile, c’est un processus de conscientisation, de prise de parole, de luttes urbaines, d’acquisition de capacités (enabling) et de responsabilisation par le pouvoir (empowering).
Nous voudrions citer un exemple. A Cureghem (Anderlecht), l’Institut de la Vie accueille dans son centre « Carmen Boute » des femmes d’origine immigrée principalement turque ou marocaine. En répondant à un appel de la Fondation Roi Baudouin, le centre s’est penché sur le mal-être de ces femmes. La réponse aurait pu être médicamenteuse, ethno-psychiatrique. C’est la parole qui, en définitive, s’avéra l’instrument de leur libération et de la conquête de la citoyenneté. Conquête d’un territoire géographique d’abord car ces femmes d’Anderlecht n’avaient « jamais dépassé le canal ». La conquête de la parole leur permet de s’adresser sans crainte aux administrations communales, à l’école de leurs enfants, d’étendre petit à petit le territoire, territoire de citoyenneté [8], où leur parole sera possible et entendue. Elles ont des projets, y compris celui d’un jardin communautaire, d’un parlement scolaire. Elles recevaient passivement, elles apportent… [9]
Nous voudrions décliner quelques aspects d’un droit à la ville, droit collectif autant que personnel, plus exactement d’un droit à l’espace, d’un droit à un territoire. L’espace n’existe jamais en soi ou objectivement. Il est l’espace des relations (R. Jaulin, 1999) [10] .Et pourrions-nous ajouter, ces relations ne sont pas seulement économiques.
1. Le premier droit qui vient à l’esprit, c’est le droit à un logement, autre que celui d’une bouche de métro ou d’un abri de carton. Il y a dans le monde, selon Habitat international Coalition (HIC), plus d’un milliard de personnes qui n’ont pas un toit adéquat, un lieu où vivre en paix et en dignité. 70 % de ces personnes sont des femmes suivant le COHRE (Centre on Housing Rights and Evictions).
2. Le droit à la ville, c’est aussi celui de se nourrir. En Afrique et dans beaucoup de villes du Sud, l’AU apporte 20-40% de la nourriture. Cet apport n’est pas comptabilisé dans les statistiques agricoles d’un Ministre de l’Agriculture. Les villes africaines, villes en explosion démographique, sont, à la suite de l’exode rural, des villes d’agriculteurs, détenteurs d’un savoir-faire agricole. On parle, à leur propos, de rurbanisation.
Chez nous, les jardins ouvriers évoquaient jadis des significations importantes dans le budget étriqué des ménages. Leur signification nouvelle aujourd’hui sera largement appréciée au cours de ce colloque. Producteurs et consommateurs ne sont séparés que par quelques kilomètres, parfois quelques mètres. A l’inverse, je lis dans un rapport que les aliments d’une grande surface américaine ont parcouru en moyenne quelque 2500 kilomètres.
3. Le droit à la ville, c’est aussi le droit à un environnement sain, à une ville en santé. A Butembo (RDC), ville aux 500 sources polluées, le droit à une eau potable.
C’est le lieu d’évoquer le rôle de l’AU dans le traitement des déchets organiques en Afrique. Compostés, ils rendent à la terre sa fertilité. Des technologies appropriées, par exemple à Dakar, permettent une rentabilisation des eaux usées dans les jardins [11]. De plus en plus en Afrique, les déchets sont une matière première. En Chine, les déchets humains sont compostés .
Santé des villes et santé des humains sont étroitement reliées. La gestion des déchets par l’AU contribue à l’assainissement des villes. On peut nous rétorquer qu’il y a des « jardins pollués ».
Mais la santé ne se définit pas seulement en termes de santé physique : elle est aussi, selon l’OMS, un bien-être moral et social. On évoquera la signification dans la société actuelle des fleurs que l’on offre , que l’on regarde , ou encore le rôle du jardin dans la conservation de la santé physique , morale des personnes âgées.
4. Le droit à l’espace en ville, c’est aussi le droit à des déplacements aisés. Rôle des transports publics accessibles à tarification différentiée.
Conclusion
Revendiquer un espace, un territoire en ville ? Ce n’est pas seulement une question de m2 , d’espace à mesurer pour divers appétits de routes, de bureaux,.. C’est demander le plein exercice de droits plus fondamentaux (le droit au logement, à une ville en santé, à des transports aisés,…). C’est ouvrir des espaces pour la rencontre, la créativité, l’exercice de la citoyenneté, pour la beauté, le plaisir, le lien plus important que le bien selon P. Viveret [12]. Les jardins partagés en sont un magnifique exemple.
LECTURES COMPLEMENTAIRES