· Auteurs du texte : Matthieu Calame et
Philippe Cacciabue
· Date de rédaction :
septembre 2000
· Responsable de la thématique : Philippe Cacciabue
Contexte
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Cette thématique, "Monde
rural européen et durabilité", se nourrit d'une
dynamique collective impulsée il y a un an : " Barcelone
99 : Quelles campagnes ? Quelle alimentation ? Quelles agricultures
pour l'Europe ? ".
De grands axes de travail structurant le mouvement de réflexion
actuel ont été dégagés à l'occasion
de l'importante réunion d'étape du processus qui
a eu lieu à Valencia en mai 1999.
C'est l'ensemble des travaux issus de ce processus qui servira
de base de travail à ce forum électronique qui permettra
de poursuivre et d'enrichir les échanges et débats
déjà initiés et de finaliser des propositions
de changement.
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Préambule
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La plupart des politiques européennes,
telle que la Politique Agricole Commune qui absorbe à elle
seule la moitié du budget de l'Europe, ont été
conçues il y a quarante ans. Mais la société
européenne a changé, les besoins et les enjeux ne
sont plus les mêmes : vieillissement de la population, urbanisation
croissante, diminution du temps de travail et augmentation de
la place des loisirs, développement durable, transformation
du monde du travail, maintien de la diversité des cultures....
Ces évolutions ont des répercussions concrètes
sur l'avenir du territoire, sur l'usage des campagnes européennes,
sur leurs fonctions sociales, sur le partage des moyens qui y
sont affectés, sur les liens entre villes et campagnes.
Le décalage entre les défis d'une Europe riche,
vieillissante et urbaine et les politiques actuelles n'est plus
supportable. Il est urgent de poursuivre et de développer
des débats citoyens, locaux et européens sur des
nouvelles propositions de politiques européennes pour le
monde rural, l'alimentation, l'agriculture.
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1. Constats
Une civilisation urbaine, mais
attachée à sa ruralité...
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L'Europe occidentale présente
une situation à plusieurs égards paradoxale. Bien
qu'étant l'une des zones les plus urbanisées du
monde, elle s'appuie sur une histoire rurale riche et encore vivante,
et reste très attachée à ce patrimoine culturel.
Forêts, campagnes, villes moyennes, hameaux témoignent
tous à leur manière du long compagnonnage et de
la longue dépendance entre une civilisation et le bout
de terre sur laquelle elle a trouvé ses racines et ses
premières ressources.
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...riche, mais confrontée
à des ressources limitées...
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Bien sûr l'Europe occidentale est ouverte, et son économie
n'est plus depuis longtemps une économie rurale (depuis
plusieurs siècles, pour certaines régions comme
la Vénétie, la Hollande, et le sud-est de l'Angleterre
par exemple). L'Europe occidentale est une des zones les plus
riches du globe, qui échange avec le monde entier. Mais
elle est aussi confrontée à la question de la durabilité
de son modèle de développement, question qui prend
la forme de défis bien concrets : gestion des déchets,
gestion des ressources, perte de biodiversité, pollution
de l'air, de l'eau, érosion des sols. Parce qu'elle est
riche, parce qu'elle est dense et petite, parce que son espace
et ses ressources sont incroyablement limitées par rapport
à sa population et à ses besoins, elle ne peut éluder
la question de son avenir, de son développement, de sa
capacité à maintenir son territoire dans un état
acceptable.
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...qui s'interroge sur la gestion
de son territoire rural.
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Par nécessité, l'Europe
des villes rejoint l'Europe rurale pour s'interroger sur l'avenir
de son territoire que ce soit comme patrimoine culturel, comme espace
de production, comme espace de vie, d'éducation et de préservation.
Elle s'interroge sur cet avenir dans un climat marqué par
:
- Des peurs alimentaires, caractérisées
par un fossé croissant entre les populations et leurs
sources d'alimentation, les scandales alimentaires, les dérapages
des industries agro-alimentaires...
- Le vieillissement de la population,
-La place du travail qui n'est plus l'unique facteur d'intégration
et d'identité sociale, et l'importance grandissante du
"temps libre" qui en découle,
- Des villes qui se remplissent, avec des citadins, surtout
les moins aisés, qui y souffrent de promiscuité
et d'inactivité, et qui s'étendent aux prix de
déplacements coûteux et polluants,
- Une dérive de l'agriculture productiviste, qui demande
toujours plus d'engrais, de rendement, de pesticides, d'artifices
et de financement, et qui continue de se développer au
détriment de nos ressources naturelles fondamentales,
- Des négociations internationales âpres que ce
soit :
· dans le cadre de son unification,
car ne l'oublions pas, il existe bel et bien deux Europe qui
ont un long chemin à faire pour se retrouver,
· ou de négociations commerciales dans lesquels
la question alimentaire et agricole joue un rôle déterminant,
et dans un contexte d'échanges internationaux où
l'Europe occidentale a conscience de sa dépendance
vis-à-vis de l'extérieur, que ce soit en matière
d'énergie, de matières premières agricoles,
de traitements des déchets.
Bien gérer son territoire pour les Européens
ce n'est donc pas seulement s'intéresser à leur
jardin, c'est aussi comprendre ce qui en sort et ce qui y entre,
ce qu'en pensent leurs voisins, ce qu'en pensent leurs enfants
ou leurs grands-parents.
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Des enjeux qui dépassent
son territoire
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Enfin il est clair que l'orientation
future de l'Europe occidentale puis de l'Europe unifiée,
les choix qu'elle sera amenée à défendre sur
la scène internationale et les principes qu'elle élaborera
pour fonder et justifier son action ont une valeur toute particulière
dans le monde actuel. Car compte tenu de son poids économique
et écologique, de son prestige culturel peut-être pas
toujours mérité mais néanmoins bien réel,
la position de l'Europe occidentale sera observée avec attention.
Elle est donc face à une responsabilité historique
d'ampleur mondiale. Choisira-t-elle donc :
- de préserver son espace rural comme
'des jardinets d'agrément, les enjolivements de l'opulence'
?
- ou d'appliquer à son échelle et dans son contexte
les principes, les droits et devoirs valables et reconnus pour
tous en vue d'un développement plus durable ?
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2. Pistes de réflexions et de recherches
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Le groupe thématique "Monde rural
européen et durabilité" a dégagé,
lors de son importante réunion d'étape à
Valencia en mai 1999, les cinq axes de travail suivants sur lesquels
nous vous invitons à débattre :
1) les nouveaux contrats entre agriculture et
société
2) l'alimentation, la qualité, la santé
3) les systèmes de production durable
4) l'Europe et le reste du monde
5) citoyenneté, pouvoir et démocratie
Nous avons choisi de conserver ces axes de travail
parce qu'ils sont le fruit d'un travail collectif et parce qu'il
couvrent assez bien l'ensemble des questions qu'il faut aborder
pour parvenir à élaborer des propositions pour un
usage et une gestion responsables et durables des territoires
ruraux.
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2.1 - Les nouveaux contrats
entre agriculture et société
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Réduire l'espace rural à l'agriculture
serait absurde, mais ne pas reconnaître le rôle éminent
de l'agriculture dans sa gestion et son orientation au moins dans
le passé serait contre-productif. L'agriculture dominée
pendant 40 ans par le modèle de l'agriculture moderne industrielle
est en plein désarroi : jadis perçue comme une activité
nourricière essentielle, ménagère du territoire,
gage d'indépendance, de sécurité, de paix,
la voilà désignée comme une activité
polluante, coûteuse, inefficace voire dangereuse. S'il était
jadis inconcevable de s'interroger sur la place de l'agriculture
en Europe tant cette place semblait évidente, tel n'est
plus le cas aujourd'hui. Quelles fonctions remplit au juste l'agriculture
dans l'Europe d'aujourd'hui ? Quelle place doit-elle occuper ?
Quelle organisation doit être la sienne ? Par quels mécanismes
et selon quel modèle social doit-elle être orientée,
négociée, gérée ?
- l'agriculture et les autres fonctions du
territoire,
- organisation sociale de l'activité agricole, sociétaire,
familiale ?
- légitimité et modalité des aides à
l'agriculture
- rôle stratégique de l'agriculture ?
- fonction culturelle de l'agriculture ?
- coût de l'agriculture ?
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2.2 - L'alimentation,
la qualité, la santé
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Est-il besoin de faire un commentaire ? Vache folle, poulet à
la dioxine, pollution de l'eau, peste porcine côtoient les
vins et fromages de qualité, les produits biologiques et
les alicaments (les aliments médicaments). On mange d'abord
pour vivre, pour être en bonne santé, par tradition
également. Aussi, en arriver sous couvert de modernité,
de rationalité et d'efficacité à la production
d'aliments de qualité nutritive médiocre voire dangereux
pour la santé est proprement stupéfiant. Le 'progrès'
peut-il masquer une régression ?
Si l'alimentation n'est pas le seul élément
qui participe à une vie équilibrée - on peut
citer dans l'ordre d'importance : l'insertion sociale, l'hygiène,
la pénibilité du travail, le cadre de vie, les rapports
sociaux, la médecine
- son rôle symbolique est
essentiel : avoir peur en mangeant son steak, c'est un retour
aux temps le plus primitifs. Le débat sur l'alimentation
est donc un débat de fond inséparable d'un débat
sur la santé, sur le mode de vie.
Dans un autre registre, celui de la quantité,
se profile un autre débat plus géopolitique à
l'échelle du globe sur " qui doit nourrir qui ? "
et sur les modes d'alimentation les plus propices au respect de
l'environnement. En effet si l'Europe est exportatrice de céréales,
elle importe, pour les produire, du pétrole et elle pollue
son eau. Pour faire vite, elle prétend nourrir l'Egypte
avec le blé produit grâce au pétrole d'Arabie
saoudite extrait par une main d'uvre philippine et des cadres
palestiniens, et elle pollue pour cela son eau.
- Comment intégrer la gestion des aliments
à une politique de la santé essentiellement préventive
?
- Comment harmoniser politique agroalimentaire et politique
de la santé ?
- Quels principes pour fonder une politique alimentaire saine
?
- L'Europe doit-elle se nourrir ?
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2.3 - Les systèmes de
production durable
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Bien que l'espace rural paraisse en apparence
moins pollué que la ville, cela n'est pas toujours vrai
: l'air et l'eau réservent des surprises ! En fait comme
c'est souvent le cas lorsque les entreprises sont petites et bénéficient
de plus d'espace la gestion des ressources naturelles ou des rejets
polluants laissent bien souvent à désirer. Pourtant
le souci grandissant de préserver le caractère naturel
des espaces ruraux tend à accroître la contrainte
pesant sur les activités économiques qui s'y développent
qu'elles aient un lien direct avec les ressources naturelles (comme
la sylviculture, le travail du bois, le tourisme, une partie de
l'agriculture et de l'agroalimentaire) ou qu'elles n'en aient
pas (petites entreprises industrielles ou artisanales, agriculture
hors-sol, voies de communication). Mais qui dit contrainte dit
surcoût au moins à court terme et qui dit surcoût
dit perte de compétitivité. Pour maintenir une activité
économique qui préserve les ressources naturelles
il faut s'en donner les moyens, qu'ils soient économiques
ou réglementaires, puis les faire accepter par ses voisins
et partenaires commerciaux !
- Sur quelles bases communes fonder une politique
de développement durable des territoires ruraux ?
- Quelles ressources doivent être préservées
en priorité et pourquoi ?
- Quels principes doivent guider la mise en uvre de ces
politiques ?
- Quels moyens doivent être mobilisés ?
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2.4 - L'Europe et le
reste du monde
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Le continent qui a le plus agi dans les deux derniers
siècles pour abolir les frontières entre régions
du monde, de manière parfois brutale peut difficilement ignorer
les interdépendances qu'il a tissées. Toute décision
interne a pour ainsi dire un impact externe. Comme généralement
l'Europe est en position de force face à des régions
plus faibles, elle peut bien sûr feindre de l'ignorer, mais
cela ne serait ni sage ni prudent pour l'avenir. L'avenir du territoire
européen est une occasion pour jeter collectivement quelques
principes concrets qui s'inscrivent notamment dans les suites de
Rio et dans le souci de construire un troisième pilier à
l'ordre international. L'Europe est d'ailleurs confrontée
quotidiennement en son sein même à l'hétérogénéité
des situations : du nord au sud et de l'est à l'ouest des
cultures et des logiques et des intérêts différents
prévalent qu'il faudra bien concilier ! Du reste de par sa
pauvreté en matières premières l'Europe est
de facto un acteur prépondérant des échanges
mondiaux.
- Quelles règles viendront corriger
les principes du libre-échange ?
- Autour de quels principes et dans quel esprit l'Europe va-t-elle
s'unifier ?
- Comment s'établit le dialogue interculturel ?
- Faut-il réduire les interdépendances ?
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2.5 - Citoyenneté,
pouvoir et démocratie
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En Europe tout au moins l'époque des grands
schémas d'aménagement comme celle des politiques agricoles
négociées en de petits cénacles est révolue.
Communes, associations ad hoc ne craignent plus de contester ouvertement,
voire de contester devant les tribunaux telle ou telle décision
ou telle ou telle action. Nous sommes bien souvent dans une situation
de contestation a posteriori qui manifeste la volonté des
citoyens d'être acteurs mais qui donne l'impression d'un blocage
et d'une judiciarisation de la société. Cette situation
est la conséquence de la faiblesse des procédures
de consultation en amont. Sauf à multiplier les échecs
et les blocages, la gestion du territoire rural, au même titre
que de nombreuses questions sociales nécessite désormais
de développer des procédures de concertation, de consultation
et de négociation en amont des décisions. C'est le
défi majeur qui se pose au régime de démocratie
représentative qui prévaut actuellement en Europe.
- Comment harmoniser les dynamiques territoriales
de l'échelle de la commune à l'échelle
de l'Europe ?
- Comment se constitue le bien public ? Quand est-il invoqué
pour imposer à un individu ou une collectivité
une décision qu'il/elle refuse ?
- Comment concilier l'unité économique et politique
de l'Europe et la diversité naturelle de ses territoires
ainsi que la diversité culturelle de ses populations
?
- Selon quels principes impulser des dynamiques collectives
prenant en considération les situations spécifiques
des collectivités ?
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