Ouvrage collectif : La vie multiculturelle de quartier
: Quelles ouvertures vers l'autre ?
Le local et le global |
"Penser globalement et agir localement".
Cette invite revient aujourd'hui comme un slogan, né d'une
vision nouvelle de l'"ordre des choses" qui semble se
mettre en place sous nos yeux et que l'on a nommé "mondialisation".
Les vertus de la mondialisation
sont surtout prônées par... ceux qui en bénéficient
: ceux qui ont accès au réseau de connexions mondiales
- physiquement, en voyageant d'un bout à l'autre de la planète
ou virtuellement, en naviguant sur Internet - et qui profitent des
échanges internationaux de produits et services économiques,
techniques, intellectuels et artistiques.
Cependant, gageons que le contenu
concret de la "pensée globale" et de "l'action
locale" diffère notablement selon le lieu où
pense et agit chaque personne. Un fonctionnaire de la Banque Mondiale
à Washington et un jeune chômeur de Liverpool ou Moscou,
ou encore une femme immigrée dans un quartier de Roubaix,
Anvers, ou New York auront sans nul doute de cette invite des perceptions
bien différentes.
Quoique les êtres humains
partagent la même planète, chaque groupe se fait du
monde une représentation compréhensible et acceptable
par lui et les siens.
Cette "relecture" spécifique
du monde est nourrie, "informée" aussi bien par
le lieu où il vit, que par ses expériences ou la singularité
de sa situation.
Des concepts apparemment aussi
généraux et universels que "marché",
"responsabilité", "liberté", "démocratie"
ou "citoyenneté", sont autant de "mots-valises"
qui s'emplissent ou se vident de sens - évolutifs au cours
du temps et différents selon les lieux ou les expériences
vécues -.
L'invite ci-dessus qui renvoie
à l'idée d'appartenance à un monde commun et
familier, pourrait en réalité s'avérer une
"valise" bien vide si elle ne se nourrissait, pour chacun,
des réalités quotidiennes qu'il comprend et qu'il
vit.
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Promesses…
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Chacun convient aujourd'hui que les cinq dernières décennies
de ce siècle n'ont pas vu se réaliser les promesses
de l'après-guerre, qui annonçaient une vie meilleure
pour tous les habitants de la planète. En témoignent,
malgré d'impressionnants progrès, une augmentation
alarmante de la population mondiale, un fossé croissant entre
pauvres et riches, l'universalisation de la criminalité mafieuse,
de graves menaces écologiques, des processus d'urbanisation
débouchant sur des dysfonctionnements sociaux apparemment
non maîtrisables, ou encore un flux continu de personnes déplacées
: réfugiés et travailleurs émigrés.
La mondialisation de la production,
du commerce et de l'échange d'informations a, effectivement,
abattu nombre de frontières. Mais elle a, dans le même
temps, créé de nouvelles formes de dépendance,
d'inégalité, d'instabilité, d'exclusion et
d'intolérance.
Cette situation s'accompagne de
forts sentiments de malaise qui s'expriment de manière tantôt
passive, tantôt plus active.
Certains semblent ainsi se désintéresser de leur environnement.
Ils se défient des systèmes électoraux et politiques,
de la justice, de la démocratie et paraissent ne pas - ou
plus - se sentir co-responsables de la sécurité de
tous.
D'autres manifestent une prise de conscience civique nouvelle, s'organisent
pour protester, souvent de manière non violente. Il s'agit
notamment de mouvements de femmes, de défenseurs de l'environnement,
des droits de l'homme ou de minorités ethniques. Toutes ces
voix au sein de la société civile ne se laissent plus
étouffer.
Mais il y a aussi ceux qui ne voient d'autre issue que la violence
pour exprimer leurs frustrations, leur absence de perspectives.
Des conflits font rage entre Etats, et, plus fréquemment
encore, à l'intérieur des frontières : entre
Etat et groupes minoritaires, entre groupes religieux et/ou ethniques,
entre ceux qui ont du travail et ceux qui n'en ont pas.
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… et leurres
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La question de savoir comment "vivre en paix
dans un monde de diversité" ne date pas d'aujourd'hui.
Cependant, dans le passé, elle était abordée
autrement. De la révolution industrielle européenne
à la décolonisation, les relations Nord-Sud furent
marquées par la volonté européenne de conquérir
des terres, d'exploiter leurs ressources, de contrôler leurs
peuples. Tout cela se faisait souvent en vue de " pacifier
" les peuples primitifs, de leur apporter la civilisation (européenne)
et la foi (chrétienne).
A quelques exceptions près
(certains anthropologues et linguistes, notamment), les Européens
s'intéressaient peu à la richesse culturelle des peuples
colonisés, sinon dans le but de les comprendre pour les dominer.
A l'issue de la décolonisation,
les Etats européens approfondirent, sous de nouvelles formes,
la relation avec leurs anciennes colonies. La "coopération
au développement" était censée aider les
anciennes colonies à réaliser leur indépendance
et à devenir des acteurs à part entière sur
le marché mondial.
La réalité fut bien
différente. La coopération au développement,
telle que conçue et pratiquée pendant ces dernières
décennies, visait à intégrer le "Tiers
Monde" dans l'univers du "Premier Monde". Inspiré
par la bonne volonté, la charité, l'intérêt
marchand ou politique (c'était l'époque de la Guerre
Froide
), on s'efforçait de " développer
" (verbe transitif) les "non-occidentaux" selon le
modèle occidental. Ainsi, les "développeurs"
étaient-ils "sujets" d'une démarche dont
les peuples "en voie de développement" ne pouvaient
être qu'autant d'"objets".
Dans les années 50 et 60, la Coopération au Développement
était conçue et pratiquée comme une aide technique
et économique. Ce qui impliquait au mieux l'ignorance, au
pire le mépris de tout ce qui appartenait à la vision
du monde et de la vie en société des peuples "
bénéficiaires " du " développement
" à l'occidentale. Les cultures locales étaient
considérées - plus ou moins consciemment - comme dénuées
d' utilité, voire comme un obstacle à cette nécessaire
intégration.
Cependant, cette attitude a commencé à évoluer
à partir des années 80. Alerté par l'échec
patent et répété de cette approche aveugle,
un nombre croissant de responsables finit par s'interroger sur la
possibilité d'une évolution des pays du Sud selon
leur propre génie et à partir de leurs propres cultures.
La diversité culturelle apparaissait, dans cette nouvelle
vision comme une richesse plutôt qu'un obstacle; et le dialogue
interculturel comme une nécessité pour la survie de
l'humanité. Témoignent de l'avènement de cette
nouvelle conception le rapport final de la Commission Mondiale pour
la Culture et le Développement, intitulé "Notre
Diversité Créative" ou encore la décision
de l'Assemblée des Nations Unies de faire publier, tous les
deux ans, un Rapport Mondial sur la culture, dont le premier ("Culture,
Créativité et Marchés, 1997-1998") aborde
clairement la relation entre culture et économie.
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Cultures entre elles:
dynamite ou dynamique ? |
Les douloureuses leçons de l'histoire des
relations entre Europe et pays colonisés, puis décolonisés,
ne soulignent-elles pas trop d'occasions manquées qui auraient
peut-être permis d'établir des relations mutuellement
enrichissantes ?
Et aujourd'hui, saurons-nous le prendre en compte, alors même
que l'Europe rencontre "le Sud" non plus "là-bas",
mais "ici", chez elle, dans ses propres rues, ses cafés,
ses écoles, et que les anciens colonisés sont parfois
devenus des concitoyens?
Ou bien s'agira-t-il de nouveau de simples politiques d' "intégration"
ou de "ghettoïsation", négligeant l'apport
des êtres issus d'autres cultures ? L'Europe à présent
multiculturelle se veut-elle interculturelle ? Et comment, de leur
côté, des ressortissants de familles immigrées
perçoivent-ils leur(s) identité(s) dans cette société
européenne, leur contribution à la société
civile, leurs droits et responsabilités civiques ?
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Une démarche
d'échange d'expériences, d' analyse commune et d'encouragement
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Partant de ces interrogations et constats généraux,
le Réseau Cultures Europe a conçu un programme de
mise en relation de personnes vivant et/ou agissant, en Europe,
dans des quartiers multiculturels urbains. Les contacts préliminaires
pris avec un nombre important de personnes travaillant dans des
communautés multiculturelles en Belgique, au Luxembourg et
en France, ont permis de préciser quelques pistes de réflexion.
D'une part,
la réalité quotidienne dans les quartiers multiculturels
des villes fait apparaître que nombre de groupes locaux, mais
aussi des associations de plus grande ampleur, agissent pour la
défense des intérêts (économiques, sociaux
et politiques) des personnes d'origine immigrée et/ou autochtone.
Les expressions visibles de ces groupes culturels (musique, danse,
arts plastiques, art culinaire) trouvent un espace d'expression
dans certains centres culturels, qui servent ainsi de lieux privilégiés
d'échange.
D'autre part,
Il semble que, leur réalité quotidienne étant
marquée par l'urgence et la survie, les quartiers multiculturels
connaissent relativement peu d'initiatives de mise en commun entre
personnes d'origine culturelle différente. Rares sont, en
effet, les activités qui visent à l'ouverture interculturelle
: c'est-à-dire permettant une découverte mutuelle
et un échange entre cultures ; une ouverture à de
tout ce qui sous-tend et donne sens aux modes de vie, comportements,
façons de voir la société ou la "citoyenneté"...
En fait, il est compréhensible
que, pour des gens vivant le plus souvent dans l'insécurité
(emploi, logement, permis de séjour, etc.), l'apprentissage
interculturel ne constitue pas une priorité. Pourtant, il
y a lieu de se poser la question de savoir si un manque de compréhension
interculturelle ne risque pas de mener à un " apartheid
" culturel, voire ethnique, spontané qui crée
ou renforce des préjugés. Ceux-ci ne sont-ils pas
à la source de tensions ou conflits ? En plus, ne constituent-ils
pas un terrain idéal des manipulations politiques ?
Ces quelques raisons ont amené
le Réseau Cultures Europe à proposer une rencontre
d'animateurs de quartier, précédée d'un processus
de préparation en commun. Cette démarche avait pour
objet d'approfondir ensemble une série de questions relatives
au vécu multiculturel de quartier. Plus précisément,
elle visait à rassembler des témoignages d'acteurs
sur :
a. les relations entre
groupes humains issus de cadres culturels différents vivant
dans des quartiers urbains multiculturels des pays francophones
européens;
b. le regard des animateurs
de quartier (vivant dans ces quartiers ou y ayant vécu)
sur les facteurs qui ont contribué à la genèse
et la persistance de ces relations, en particulier leurs côtés
culturels;
c. des expériences
menées pour faire face aux problèmes vécus,
pour dévoiler les causes plus profondes de malentendus
et de tensions, et pour améliorer la vie interculturelle
de quartier.
Nous nous attendions à ce
que les échanges sur ces trois pistes, entre des animateurs
de quartier de différentes villes en France, en Belgique
et au Luxembourg, aboutiraient à une compréhension
plus fine de ce que la vie multiculturelle de quartier implique
concrètement et de ce qui peut être fait -de l'intérieur
aussi bien que de l'extérieur- pour contribuer à de
meilleures relations sociales et interculturelles.
Les participants furent choisis
sur la base de leur implication directe et active dans la vie d'un
quartier, en tant qu'animateur de quartier, travailleur de rue,
ou formateur.
La préférence était donnée à
celles et ceux qui vivent ou ont vécu personnellement dans
ces quartiers. Vivant en contact direct et quotidien avec les habitants,
ces personnes nous semblaient susceptibles d'avoir une vue à
la fois concrète mais aussi suffisamment distanciée
des problèmes. Une connaissance de ces formes de société
alliée à une capacité d'analyse de leurs propres
expériences.
L'inconvénient d'un tel choix était, bien sûr,
que ces animateurs ne peuvent pas être considérés
comme véritablement représentatifs des sociétés
de quartier.
Nous nous attendions en outre à ce que leurs expériences
- quoique vécues dans diverses villes de trois pays - révèlent
des concordances, qui seraient autant de pistes possibles de réflexion,
autant de signaux de ce qui s'y passe et de ce qui peut être
fait.
Le constat d'éventuelles concordances pourrait, bien sûr,
être biaisé par le fait qu'il s'agissait d'un groupe
professionnel relativement homogène. Ceci dit, leurs expériences
et leurs visions n'en sont pas moins intéressantes et utiles
à la réflexion.
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Méthode de préparation
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La préparation de cette Rencontre s'est
déroulée, selon la démarche habituelle du Réseau
Cultures, par une série d'étapes :
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Un engagement à réaliser
un travail collectif
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Un travail en profondeur sur le thème proposé
ne peut se faire qu'à partir d'une réflexion préalable
à l'échange. Il est également clair que le
dialogue, au cours de la rencontre prévue, gagnera en intensité
et richesse si chaque participant(e) a pu, avant de les retrouver,
réfléchir sur les contributions des autres participant(e)s.
C'est le sens de la préparation en deux "vagues"
de contributions écrites :
Première "vague"
Dans un premier temps, chaque participant(e) s'est penché(e)
sur son propre contexte. Elle/il a rédigé un premier
document répondant à quelques questions initiales,
formulées par le Comité de Pilotage de la démarche.
Ces premières contributions furent envoyées au secrétariat
du Réseau Cultures qui assurait la gestion de l'ensemble.
Le Comité de Pilotage, après avoir étudié
tous les textes, se réunit et formula une série de
questions nouvelles pour la seconde contribution écrite.
Deuxième "vague"
Chaque participant(e) reçut l'ensemble des textes de la première
vague ainsi que les nouvelles questions relatives à leur
deuxième contribution écrite. Celles-ci visaient à
faciliter le passage du descriptif à l'analyse, puis de l'analyse
aux nouvelles perspectives.
Les réponses à cette deuxième "vague"
furent adressées aux participant(e)s un mois avant la rencontre.
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Une rencontre fructueuse
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Le travail collectif avait préparé la rencontre entre
les participants au projet. Celle-ci commença par un tour
de table. Chaque participant(e) put proposer, comme base de discussion,
les questions et réflexions qu'elle/il avait dégagées
de sa lecture des contributions des autres. Un ordre du jour en
émergea. Les participant(e)s fixèrent également
les modalités de travail (sessions plénières,
carrefours, jeux de rôles, etc.).
La Rencontre dura trois jours pleins.
Un temps d'immersion dans la réalité locale bruxelloise
fut également programmé.
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Résultat
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Le rapport qui suit rend compte des résultats
de la démarche. Il sera diffusé - pour une bonne part
- dans la revue du Réseau Cultures, "CULTURES &
DEVELOPPEMENT".
Dans le premier chapitre les participants
partagent avec le lecteur leurs vécus au quotidien et leurs
perceptions du sens de ces vécus. Il explore les questions
a. et b. (voir page 7).
Le deuxième chapitre décrit une série d'initiatives
(prises au sein des quartiers ou venant de l'extérieur) auxquelles
les animateurs de quartier étaient associées. Ces
descriptions sont également accompagnées d'observations
de la part des animateurs de quartier. Ce chapitre traite de la
question c. (voir page 7).
Le chapitre 3 est voué à une tentative de l'auteur
du rapport de faire le bilan de la démarche en analysant
les implications des constats faits à la fin des deux premiers
chapitres. Cette analyse est également basée sur et
inspirée par les discussions entre les animateurs de quartier
pendant l'Atelier de Bruxelles.
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Chapitre 1 : LE VECU AU QUOTIDIEN
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Témoignages |
Dans un souci de construire la réflexion commune à
partir du vécu de la réalité quotidienne dans
les quartiers multiculturels dits " sensibles ", les participants
ont commencé par se raconter comment ils perçoivent
cette réalité dans leurs quartiers respectifs.
Les citations suivantes sont issues
des contributions écrites des participants préalables
à leur rencontre pendant l'Atelier de Bruxelles. Le premier
élément sur lequel elles mettent l'accent, c'est la
violence.
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Etre envahi
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(Jacqueline Lesquier, Paris/Hauts-de-Seine).
" Il y a de la violence, surtout
pendant les périodes de vacances scolaires. Des adolescents
en bande vous agressent " gratuitement ", c'est à
dire verbalement ou physiquement, sans raison apparente; ils cassent,
soit pour voler soit pour se défouler. Les " aînés
" font faire les mauvais coups par les petits, sachant que
la police ne peut les arrêter.
A la Caravelle, à plusieurs reprises, des jeunes se sont
attaqués à la serrure du local, pour le plaisir de
la mettre hors d'usage. L'an dernier, ils ont mis le feu au bureau
de tabac. Ils ont aussi saccagé les locaux du Centre culturel
et social de la cité, qui est resté fermé un
certain temps, bien qu'il n'arrive pas à accueillir tous
ceux qui veulent s'inscrire, faute de moyens. Il y a des rivalités
entre bandes de cités voisines: pendant les petites vacances
scolaires au printemps dernier il y a eu des échanges de
coups de feu sur le parking de La Caravelle et dans les rues adjacentes,
des voitures ont eu leurs vitres brisées. Par la suite, c'était
la peur: certaines mères de famille craignent pour leurs
petits par exemple et ne les laissent pas sortir seuls.
Il y a le problème de la promiscuité. La Caravelle,
par exemple, est une espèce de " barre " où
logent 4000 personnes. Dans certains quartiers, il y a une majorité
d'habitants d'origine étrangère: les habitants de
souche française ont l'impression d'être envahis, étrangers
dans leur ville.
Ces tensions sont surtout dues aux problèmes du chômage,
aux conditions de logement et à l'absence de perspectives
d'avenir.
Mais il y a aussi dans les familles le problème de la perte
d'autorité du père que certains enfants ont toujours
connu au chômage, et c'est un problème de nature culturelle,
surtout dans les familles maghrébines.
Le problème de la langue:
il est aussi réel pour nous, les Français, qui ne
parlons pas arabe par exemple. Quand il y a des conflits, il arrive
assez souvent qu'enfants et adultes se mettent à parler dans
leur langue d'origine et nous excluent du dialogue et de la relation,
parfois inconsciemment, souvent volontairement.
S'il y a une forte demande de cours d'arabe, chez les jeunes comme
chez les adultes, c'est par quête d'identité, c'est
pour renouer avec leur culture d'origine et leur religion, mais
il y a parfois une certaine ambiguïté dans cette quête.
Le manque de connaissance de la langue française pose surtout
un problème aux parents vis-à-vis de l'institution
scolaire et dans les démarches administratives. Aujourd'hui
la majorité des enfants et des jeunes sont scolarisés
et s'expriment en français ".
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Un espace d'évitement
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(Pascal Aubert et Fanta Sangare Bougueon, Paris)
" Peu de choses font rire
ou même pleurer ensemble, en public. C'est peut-être
une des caractéristiques les plus fortes de l'évolution
des cités que nous connaissons, l'espace public est un espace
d'évitement ou de conflit, on y partage peu les joies et
les peines, qui se réfugient à l'abri des appartements.
Au delà de ce qui est exprimé existent bien sûr
ce que les habitants de ces quartiers populaires partagent malgré
eux: la pauvreté pour certains, le sentiment d'abandon, la
peur, l'envie de partir mais aussi l'envie de s'en sortir. Ils partagent
les choses qui leur sont imposées et sont plutôt, pour
le reste, sur le mode de la concurrence. Cette concurrence peut
prendre la forme du racisme ou de la stigmatisation de la différence;
en tout cas la solidarité n'est pas inscrite dans le fonctionnement
habituel des quartiers, qui ne constituent pas des communautés
alors même que leurs habitants peuvent avoir objectivement
les mêmes intérêts. Ne subsistent que les fonctionnements
communautaires, établis sur la base de l'immigration quand
elle est récente, mais qui, s'ils aident les arrivants, peuvent
dans certains cas être un obstacle à l'intégration
".
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Regards croisés
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(Marie Agbessi, Roubaix)
" Quand, dans un quartier,
on voit de nombreux jeunes désuvrés sans aucune
perspective d'emploi, alors que les parents eux-mêmes ne savent
pas comment joindre les deux bouts pour finir le mois, on a envie
d'en pleurer. Le décès d'un voisin bien connu nous
rappelle que le temps nous est compté et qu'on devrait faire
l'effort d'accumuler les instants positifs.
Malgré cela, certains personnages croisés au coin
de la rue ou chez le commerçant, tel vieux pépé,
telle brave dame perdue dans toutes les privations imposées
par l'injustice sociale, ont souvent des expressions, des analyses
ou même des colères qui valent bien un bon éclat
de rire.
Pendant la coupe du monde, j'ai rencontré un adorable petit
(il avait à peine cinq ans) qui me demandait le pronostic
du match France-Brésil, il posait la même question
à tous ceux qui passaient sur son trottoir ce jour-là.
J'ai beaucoup ri et je m'en souviens toujours avec tendresse. Exception
faite de tous les dessous douteux de ces manifestations sportives
et culturelles, on doit admettre qu'il existe encore des moments
de partage intenses à provoquer pour gérer la paix
sociale.
Les habitants d'un quartier ont tous en commun la volonté
de présenter le côté positif de leur lieu de
vie. Personne n'a envie de laisser apparaître que son quartier
est le plus mauvais. Quand le sentiment négatif commence
à dominer, les gens s'en vont ou ne participent plus à
la vie du quartier.
Pour le public que je connais, c'est la question de l'activité
rémunératrice au quotidien qui domine. Comment faire
prendre en compte les savoir-faire des populations pour améliorer
le quotidien de chacun, même s'il n'est pas possible de donner
de l'emploi à tous ? "
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Quand l'exil de nous-mêmes
pèse trop…
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(Laetitia Mazoyer, Paris)
" Dans mon quartier des richesses
interculturelles, il y en a ! Je travaille avec une dame algérienne
et j'apprends plein de choses avec elle. Mais des conflits, des
doutes, des appréhensions aussi il y en a, dûs au manque
de connaissance, à la peur de celui qu'on ne connaît
pas, dont on ne connaît pas les codes et aussi à des
systèmes relationnels qui, ma foi, me gênent parfois,
surtout entre les hommes et les femmes.
Il y a un café, le seul café de la rue où nous
travaillons. On y trouve une majorité d'hommes, et des vieilles
habituées du bar. Le patron est fort sympathique, et, au
bout de trois ans, les autres personnes de l'association et moi-même
avons tissé des relations. On s'est apprivoisés et
acceptés. Aujourd'hui, je travaille juste à côté.
Au début, j'allais prendre mon café au bar le matin,
le plus souvent, je l'emportais au bureau, ayant un peu de mal avec
les horaires et surtout sentant des regards qui voulaient dire pour
moi: " Tu peux venir ici, on t'accepte, mais ne va pas trop
loin. C'est notre territoire. " Je croyais être la seule
à ressentir ça, mais la conteuse qui travaille sur
le quartier a ressenti la même chose. C'est vrai que c'est
un sujet qui me tient à cur, car quand même,
bien souvent, c'est sur les femmes que retombe le plus la pression
interculturelle, même si, bien sûr, les hommes en souffrent
aussi mais d'une autre manière.
Ce qui fait rire ? J'ai vu les gens rire lors des fêtes d'école,
des spectacles de contes, des veillées surtout de contes,
et des soirées 'échanges de paroles' pour adultes.
Au quotidien, je ne les vois pas tellement rire en fait. Je les
vois sourire, de gros éclats de rire, il n'y en a pas beaucoup.
Je me souviens d'un soir avec une collègue algérienne,
elle n'en pouvait plus de rire. On venait de sortir d'une réunion,
et il était minuit et demi ; elle devait rentrer plus tôt,
mais on était devant chez elle et elle a raconté l'histoire
du marabout du dixième étage qui lançait des
ufs, et tous les matins elle se demandait pourquoi il y a
avait des coquilles d'ufs par terre, et un jour une voisine
lui a dit qu'il y avait un marabout au dixième étage
et un vrai défilé. Elle racontait aussi l'histoire
de sa gardienne qui prenait des photos de serviettes hygiéniques
jetées par la fenêtre pour dire aux bailleurs qu'il
y avait des gens sales dans l'immeuble et on a piqué un vrai
fou rire, à minuit et demi, imaginant la gardienne, le marabout
jetant des ufs du dixième étage.
On rigole beaucoup de nos histoires avec ma voisine algérienne
qui a mon âge. On rit parce qu'on dédramatise, on se
moque de nous-même et ça me fait du bien.
On pleure, on pleure quand la solitude, l'exil de nous-mêmes
nous pèse trop.
Je me souviens d'une dame, à un conseil de quartier, qui
était venue me voir, en pleurant, en disant: " Je ne
viens pas demander de l'aide, je viens pour rencontrer d'autres
personnes. "
Le chômage aussi, ça fait pleurer parce que l'argent
manque, mais aussi par toutes les conséquences que le chômage
entraîne. A quoi est-on utile lorsqu'on est au chômage
? Pour qui existe-t-on ?"
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Une mémoire en constitution
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(Youssef Haji, la Goutte d'Or, Paris)
" Dans les différentes
expériences menées, le souci principal des habitants,
au-delà de la résolution de leurs propres problèmes
sociaux et économiques, reste une valorisation de leurs propres
savoir faire et de leur savoir être. Cette valorisation ne
peut pas être artificiel, elle doit s'appuyer sur une écoute
agissante permettant aux gens de travailler ensemble autour de la
genèse d'un projet et sa concrétisation. Les difficultés
commencent lorsqu'on fait semblant d'impliquer les gens sans réellement
les impliquer. Cette implication exige le droit à l'information
pour mieux percevoir les aboutissements d'un projet. Ce droit exige
aussi une transparence dans la gestion et dans la prise des décisions
collectives.
Les tensions et conflits qui pourraient
exister sur les quartiers, à mon avis et à partir
de mon humble expérience, reposent essentiellement sur le
fait que l'installation des personnes dans les quartiers périphériques
se fait d'une façon accidentelle ou imposée avec aucune
participation à la vie dans des ensembles avec une mémoire
si ce n'est celle en devenir, apportée par des populations
de milieux et de parcours différents. C'est la prise de conscience
de cette nouvelle mémoire en constitution qui manque dans
les démarches de développement de ces quartiers. L'approche
interculturelle pourrait donner une cohésion à cette
diversité qui serait vécue comme élément
de réussite dans les sociétés de demain et
non pas comme éléments d'échec ou de renfermement
rétrograde.
Les conflits prennent dans ces
situations des allures de conflit de nature culturelle avec des
jugements de valeur qui ne dépassent pas les constats visibles:
- s'il y a insécurité, c'est à cause de la
violence des maghrébins
- s'il y a dégradations du cadre de vie, c'est à cause
des familles africaines
- s'il y a du bruit tard le soir, c'est à cause des jeunes
- s'il y a chômage, c'est à cause de la fainéantise
des habitants
En un mot, s'il y a problème,
c'est à cause des mélanges. Or, on ne s'est jamais
posé la question sur le fait que les mélanges, dans
ces cas, sont porteurs de violences et, dans d'autres cas, peuvent
être porteurs d'innovations et de savoirs:
- les fondements de la renaissance européenne sont ancrés
dans une société interculturelle avant la lettre,
qui est la société arabo andalouse dans l'Espagne
musulmane ;
- la victoire sur le fascisme et le nazisme (l'une des idéologies
les plus antagonistes avec l'idée de l'interculturel) s'est
faite grâce à des bataillons où américains,
australiens, français, sénégalais, marocains,
anglais
se trouvaient sur la même ligne de front avec
aucun dénominateur commun quant à la langue, le vécu
de l'histoire, néanmoins à part l'attachement à
l'idée de liberté et du refus du totalitarisme ;
- aujourd'hui, si l'on regarde la composition des différents
instituts de recherches scientifiques, médicales ou même
- malheureusement - militaire, on trouve que ces lieux sont des
lieux multiculturels par excellence.
La France a toujours été un pays monolingue et l'intégration
" à la française " s'est toujours faite
à partir de la maîtrise de la langue. Cela marginalise
effectivement les populations issues de l'immigration avec des conséquences
sur leur implication dans la vie de quartier (rapport aux institutions,
aux écoles
). Et même les bonnes intentions d'y
remédier peuvent se heurter à des malentendus interculturels,
tel ce conseil d'école qui voulait une participation des
parents immigrés à la vie de l'école. Il a
demandé au seul père maghrébin qui participe
aux réunions du Conseil d'animer des ateliers de contes.
On n'a plus revu le père. Lorsque je lui ai demandé
les causes de son départ, il m'a répondu: " Il
est malheureux que mon investissement est récompensé
par le fait de me demander de jouer au clown (conteur) alors que
je suis d'une famille respectable
".
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Manque de compréhension…
source de mal-vie
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(Mahfoud Galizara, Avignon)
" Au-delà des nombreux
besoins matériels du quotidien (besoin de crèches,
besoin d'espaces de jeux pour les enfants, besoin de locaux de réunions,
), on constate un manque de solidarité et de compréhension
entre les différentes populations. C'est ce manque de compréhension
qui crée le sentiment de malaise ou de mal-vie, le repli
sur soi et le développement de l'individualisme. N'ayant
rien à partager avec les autres, on ne s'intéresse
pas au devenir du quartier. De temps à autre, à l'occasion
de grave catastrophe naturelle ou d'agression mortelle, un sursaut
populaire et solidaire (toute origine confondue) peut se manifester.
Des femmes tentent parfois de se mobiliser pour combattre la diffusion
de la drogue qui touche plusieurs de leurs enfants sans distinction
de race.
Les tensions et les conflits dans les quartiers sont aussi nombreux
entre des populations de même origine qu'entre des populations
de culture différente. Ils ont le plus souvent un rapport
avec le comportement des enfants à l'extérieur de
chez eux (bruit, bagarre, salissure,
). Lorsque ces problèmes
touchent deux familles maghrébines de pays différents,
chacune va accuser l'autre de tares dues à ses origines nationales.
S'ils appartiennent au même pays, on critiquera alors la région
de l'autre. Si le conflit se produit entre une famille européenne
et une famille d'origine étrangère, chacune va l'expliquer
par l'origine ethnique de l'autre ( ils sont racistes / ils sont
sauvages ).
Par conséquent, ce n'est pas un problème de différence
culturelle mais de niveau culturel, en ce sens où les personnes
n'analysent pas objectivement les problèmes mais se contentent
des idées simplistes qui leur viennent à l'esprit
ou qu'ils ont entendues. La télévision participe parfois
à l'entretien de ces faux clichés.
Le manque de connaissance de la langue française joue certainement
un rôle dans le repli sur soi et le manque de communication
entre les personnes. Cela devient également un argument pour
refuser d'intégrer l'autre, en considérant qu'il n'a
pas fait suffisamment d'effort pour apprendre la langue du pays
d'accueil comme si on pouvait mieux faire à sa place.
Ne connaissant pas la langue de l'autre, on se prive alors de la
connaissance des mécanismes culturels qui fabriquent les
pensées. D'où le glissement vers des jugements hâtifs
à partir de nos propres références.
Certes, les mêmes mots, gestes
et actes diffèrent souvent d'une communauté à
l'autre: on ne témoigne pas de la même façon
l'affection (question de pudeur), l'échelle et le système
de valeurs peuvent différer (l'utile et le futile, le sens
de l'hospitalité).
Exemples :
- l'hospitalité envers le voisin est un devoir pour un Musulman,
mais souvent sa générosité soulève la
méfiance chez l'Européen ;
- l'Européen qui veut embrasser l'hôtesse de maison
de confession musulmane parce qu'elle l'a dignement reçu
lors d'une invitation, met très mal à l'aise et la
femme et le mari de celle-ci car cela ne se fait pas du tout. La
même gêne existe lorsque cela arrive à une Européenne
qui veut témoigner son amitié à un musulman,
surtout s'il est marié ;
- on reproche aux musulmans de trop dire merci , interprétant
cela comme une faiblesse, alors que dans l'esprit de ces derniers
c'est une marque de savoir vivre.
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On ne peut être méprisé
et gentil à la fois
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(Gaby Etchebarne, Toulouse)
" La pièce de théâtre
que nous, six femmes, avons montée une trentaine de fois
dans les communes autour de Toulouse et d'autres villes en France,
nous a bien initiées à la vie multiculturelle de quartier.
Parmi les spectateurs - et donc pendant les débats qui suivaient
les représentations -, nous avons eu beaucoup de membres
d'associations et d'habitants vivant dans les quartiers dits sensibles
. Leurs préoccupations les plus importantes ? Trouver du
travail ; être reconnus ; se faire entendre ; être écoutés.
En général, s'ils ne sont pas militant(e)s, le dialogue
commence dans l'agressivité, l'ironie, le cynisme ; une façon
de nous dire: c'est ça que l'on vit avec ceux qui ne vivent
pas dans notre groupe culturel, dans les conditions de vie qui sont
les nôtres.
Ces expériences nous ont appris que les gens méprisés
et rejetés par la société refusent le dialogue
parce qu'ils n'y croient plus ; qu'on ne peut être méprisé
et être gentil à la fois ; que la perte du sentiment
de sa propre dignité rend méchant ; que la difficulté
de dialogue ne vient pas tant des différences de cultures,
mais bien plutôt du rejet social et du mépris que ce
rejet exprime ; qu'il ne reste qu'un moyen - aux yeux de la majorité
des méprisés - de retrouver un peu de dignité:
l'appartenance à l'ethnie, à la religion ; d'où
les intégrismes, les nationalismes et toutes les manipulations
qu'ils engendrent ; que tous les hommes et toutes les femmes de
toutes les cultures réagissent de la même manière
devant le racisme, le mépris des autres (vraiment, il n'y
a qu'une race: la race humaine), qu'on est tous et toutes un sacré
mélange de bonté et de méchanceté, de
tendresse et de dureté, que ce constat, loin d'être
désespérant est au contraire un facteur de rencontre
avec les autres, eux qui sont - comme moi - un peu bons et un peu
méchants ; on peut donc se comprendre et dialoguer.
Ceci dit, ce constat ne signifie pas qu'il faut renoncer à
la lutte contre toutes les formes de manipulations. Bien au contraire.
Je pense qu'il nous faut poursuivre une lutte sans merci pour dénoncer
toutes les formes de pouvoir - en particulier le pouvoir économique
- qui impose, plus que jamais, ses lois aux politiques et aux peuples.
Cela nous amène à parler des relations interculturelles,
des conflits qui revêtent cette forme, des difficultés
de relations qu'elles engendrent. C'est là un problème
extrêmement complexe. Nous, les pays riches, nous avons le
besoin de beaucoup écouter ceux et celles auxquels on a longtemps
imposé nos idées et nos façons de faire.
Mais je voudrais ajouter une seule remarque à ce propos,
quelque chose qui me paraît fondamental et que j'ai constaté
pendant les débats et pendant mes séjours dans des
pays d'une culture très différente de la mienne: je
reste persuadée qu'on ne peut avoir un échange de
fond avec ceux et celles d'une autre culture en dehors d'une vision
et d'une action communes sur le monde et l'Etre humain. Quand on
lutte contre les pouvoirs qui écrasent l'être humain,
pour sa dignité, pour la justice et le partage des richesses,
on peut accepter que l'étranger critique notre pays, qu'il
dénonce ce qui ne va pas chez nous. Parce que, justement,
il n'est plus l'étranger , il est mon frère, elle
est ma sur. Pour moi, aimer un autre pays, se pencher sur
sa culture, ce n'est pas dire béatement: oh ! que c'est beau
! C'est aussi refuser et dénoncer ce qui, dans cette culture,
va contre les Droits de l'Homme (et encore, plus peut-être,
contre les Droits de la Femme).
J'ai connu cette expérience de dialogue vrai avec des gens
d'une culture tout à fait différente et je trouve
que ce sont des moments d'une grande intensité ; mais dans
la plupart des cas, ce n'est pas possible et il faut se taire .
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Constats |
Les témoignages des animateurs de quartier
par rapport aux relations entre les habitants de leurs quartiers
urbains multiculturels (question a., page 7) démontrent une
tendance à situer ces relations dans un cadre contextuel
complexe. Malgré le fait que chaque quartier connaît
ses propres caractéristiques, ils partagent apparemment des
traits saillants généraux. Parmi ceux-ci on pourrait
distinguer :
* des traits relatifs au cadre structurel, c'est à dire un
ensemble complexe de facteurs qui influencent la vie des habitants
du quartier, mais qui dépassent leur sphère d'influence
à eux;
* des traits qui se portent plutôt sur la nature des relations
entre les habitants du quartier.
Voici les traits généraux
qui sont le plus souvent mentionnés:
- cadre structurel :
* le chômage et la précarité
* le rejet social de la société hors le quartier
* la présence de langues différentes
* le problème du fonctionnement des autorités publiques
- nature des relations:
* une tendance à éviter la rencontre dans les espaces
publiques
* la création de 'territoires' (p.ex. le café pour
les hommes)
* des malentendus et des exclusions mutuelles
* la violence, mais aussi 'les regards croisés'
* les tensions et conflits : pas nécessairement ni uniquement
dus à des différences culturelles
* la recherche de dignité : souvent identifiée à
la quête d'identité
ethnique et/ou religieuse
* le manque de mémoire commune.
Il va sans dire que les deux types
de traits sont intimement liés et qu'il existe une interaction
entre eux même s'il est difficile de l'expliciter.
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