Ouvrage collectif : La vie multiculturelle de quartier
: Quelles ouvertures vers l'autre ?
Chapitre 3 : BILAN DE LA DEMARCHE
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Ce dernier chapitre tente de faire le bilan de la mise en commun
des expériences des animateurs de quartier ayant participé
à la démarche. Que peut-on en dire à l'issue
de celle-ci ? Quels enseignements peut-on en tirer dans la perspective
de nouvelles actions ?
L'effort d'analyse et de synthèse
qui suit - quoique rédigé par l'auteur de ce rapport
- est inspiré par les contributions écrites des participants
qui ont précédé l'Atelier de Bruxelles et par
les discussions qui y ont eu lieu. Ce rapport leur a été
soumis pour commentaires et rectifications.
Nous ferons d'abord le bilan de
la méthode suivie. Ensuite, nous relierons les constats de
la fin des deux premiers chapitres aux questions ayant amené
le Réseau Cultures à approfondir le thème de
la démarche : " quelles ouvertures vers l'autre "
dans " la vie multiculturelle de quartiers " ?
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Méthode de préparation |
La méthode de préparation de la rencontre
des animateurs de quartier s'est déroulée, selon la
méthodologie habituelle du Réseau Cultures, en deux
vagues de contributions écrites. Comparée aux expériences
précédentes, elle s'est avérée moins
adaptée au type de personnes qui ont participé à
ce programme-ci de recherche/action.
L'idée d'origine de rassembler aussi bien des habitants de
quartiers multiculturels urbains que des animateurs de quartiers
s'est révélée irréelle. Nous avons dû
nous restreindre à ces derniers. De plus, le nombre de celles
et ceux qui ont honoré leur engagement initial de participer
était plus bas que prévu.
Nous supposons que la raison en était que les habitants aussi
bien que les animateurs de quartier vivent quotidiennement l'urgence
des besoins concrets et des possibilités restreintes d'y
remédier. L'ensemble complexe de ces facteurs empêche
un certain recul par rapport à cette réalité.
Ainsi, notre demande de prendre ce recul et de s'exprimer par écrit
n'a pas trouvé l'écho espéré.
Ceci dit, force est de constater que la qualité des contributions
- écrites autant qu'orales - de celles et ceux qui ont participé
activement a été remarquable et a permis une grande
richesse d'échanges.
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Questions initiales et
constats |
Afin de faire le bilan des constats et de les approfondir,
rappelons les questions principales qui étaient à
l'origine de la démarche :
"En fait, il est compréhensible
que, pour des gens vivant le plus souvent dans l'insécurité
(emploi, logement, permis de séjour, etc.), l'apprentissage
interculturel ne constitue pas une priorité. Pourtant,
il y a lieu de se poser la question de savoir si un manque de
compréhension interculturelle ne risque pas de mener à
un " apartheid " culturel, voire ethnique, spontané
qui crée ou renforce des préjugés. Ceux-ci
ne sont-ils pas à la source de tensions ou conflits ? En
plus, ne constituent-ils pas un terrain idéal des manipulations
politiques ?"
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Existe-t-il un apartheid
culturel spontané dans des quartiers dits " sensibles
" ?
Oui
.
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Les témoignages des animateurs
de quartier confirment qu'en effet le danger que la présence
de groupes ethniques d'origine culturelle différente risque
de mener à un apartheid non imposé par l'Etat mais
émergeant spontanément dans les quartiers dits "
sensibles ".
Ce phénomène invite à s'interroger sur ce qualificatif
dont on affuble aujourd'hui les quartiers multiculturels et défavorisés
des grandes villes. A quoi leurs habitants sont-ils donc "
sensibles " ? Et inversement: à quoi seraient-ils insensibles
?
Une relecture transversale des
mots que les participant(e)s à l'Atelier ont employés
pour évoquer la vie quotidienne dans des quartiers multiculturels
fait ressortir un ensemble de vécus négatifs qui riment
avec " séparation ". Les habitants de souche européenne
ont l'impression d'être envahis, " étrangers dans
leur propre ville ". Les autres se sentent déracinés
de leur site d'origine. On est " bien d'ici " ou "
bien d'ailleurs ". Cette situation se complique encore par
le fait que " l'ici " se présente comme un ici
multiple marqué par différentes situations économiques,
différentes religions, différentes classes sociales
et donc codes de comportement différents.
L' " ailleurs " également se présente comme
multiple: origines africaines, asiatiques, latinos et par conséquence
une multiplicité de langues différentes.
Toutes ces multiplicités ne font que renforcer le sentiment
de ne pas faire partie d'un tout, de la société entière,
de n'appartenir qu'à des cellules sociales et d'y être
encagé. En somme, le quartier est qualifié d' "
espace d'évitement où l'on partage peu les peines
et les joies qui se réfugient à l'abri des appartements
".
Ainsi les habitants de ces quartiers semblent très sensibles
à la crainte existentielle de la séparation. Dans
les quartiers multiculturels et défavorisés cette
crainte humaine renforcée par la précarité
matérielle aussi bien que relationnelle, prend des formes
ouvertes, aiguës, concrètes.
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Y a-t-il des tensions
et conflits ?
Oui
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Les tensions abondent, les conflits et la violence aussi.
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Les tensions et conflits
sont-ils causés par le manque de compréhension interculturelle
?
Parfois oui
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Selon quelques exemples donnés,
le manque de compréhension interculturelle, surtout sur le
plan de la langue, peut en effet être cause de tensions et
de conflits.
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mais
pas seulement des
écarts culturels
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Cependant, ceux-ci ne se manifestent pas seulement
entre groupes de cultures ou ethnies différentes. Il y a
aussi d'autres écarts que ceux liés à la culture
qui causent tensions et conflits. Quoi que la culture soit un facteur
de différenciation important, il n'est pas unique. On a trop
souvent tendance à privilégier un seul axe d'explication
d'un problème ou d'une situation, alors que les causalités
sont complexes et entremêlées. Les facteurs sociaux
économiques, sexuels, idéologiques, culturels,
s'accumulent.
Il serait trompeur d'absolutiser le rôle des différences
culturelles dans les difficultés rencontrées dans
les quartiers. Bien d'autres niveaux de perception, de (bonne ou
mauvaise) relation peuvent être le lieu, la cause et/ou l'objet
de difficultés relationnelles :
- le genre
- l'âge
- le statut économique et social
- la religion
- la fonction professionnelle
- la psychologie personnelle
Il faut constater également
qu'au sein des cultures, il existe des sous-cultures : celle des
jeunes désuvrés, souvent agressifs, qui s'aliènent
de leurs parents; le sexisme qui sépare hommes et femmes;
les 'territoires' créés par les hommes (p. ex. les
cafés).
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mais… pas statique
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En regardant de plus près ces phénomènes
d'écartement, on voit que la situation décrite n'est
pas pour autant statique. Au contraire, il s'agit d'un processus
dynamique d'écartement en deux directions divergentes: l'un
va dans le sens de l'adoption (quoique partielle) des valeurs et
pratiques de la culture d'accueil (p.ex. le combat de Fanta Sangaré
contre des pratiques africaines par rapport aux femmes) ; l'autre
va plutôt dans le sens de l'intensification de sa propre culture
(p.ex. des jeunes maghrébins de la deuxième ou troisième
génération voulant apprendre l'arabe et/ou s'alliant
à l'intégrisme musulman ): la recherche de dignité
est souvent identifiée à la quête d'identité
ethnique et/ou religieuse de la culture d'origine.
Les deux tendances relèvent du même besoin humain de
l'estime de soi: de voir ses savoir être et ses savoir faire
valorisés, et de savoir qu'on fait partie intégrante
d'une mémoire collective.
Les travaux du 'Réseau Cultures
et Développement' montrent combien la culture peut apparaître
aussi bien comme un moyen de manipulation -véritable et dangereuse
" dynamite " sociale- que comme une source de " dynamique
" sociale et de citoyenneté active et créatrice.
Plus importantes, peut-être, que le contenu d'une culture
-qui peut évoluer ou se fondre avec celui d'autres cultures-
apparaissent les " fonctions humaines " d'une culture.
La culture, vue sous cet angle, c'est ce qui rend possible l'appartenance
à un groupe social, l'estime de soi, la capacité de
sélection des apports extérieurs, une force de résistance
et d'action solidaire, et la dation de sens.
Quand ces fonctions sont atrophiées,
la culture se trouve appauvrie, le 'sujet' dépérit
ou cultive le fatalisme, le repli, la haine, la violence, la dictature.
Quand ces fonctions sont activées, la société
est vivante, créatrice et dynamique. Elle connaît des
conflits, mais ceux-ci peuvent lui permettre d'évoluer, d'avancer.
C'est de la culture ainsi comprise que nous parlons ici, plutôt
que de quelque chose qui sépare, qui " distingue ".
Cette conception dynamique de la
culture (et l'accent mis sur ses 'fonctions' plutôt que sur
son 'contenu') s'oppose à une vision statique de la culture,
qui insiste sur la différence, voire l'incompatibilité
entre 'cultures', qui ne sont en réalité que la 'photographie
instantanée', à un moment de son histoire, de l'état
d'une culture, de l'image qu'un groupe humain se donne de lui-même.
Les observations faites par Mahfoud
Galizara par rapport aux efforts de favoriser les occasions de rencontres
entre les populations d'origines différentes, illustrent
le caractère dynamique de la culture: " ces expériences
nous ont appris que les populations en général, et
les jeunes en particulier, sont prêts à changer leurs
faux préjugés sur les autres si on les aide à
décoder le sens des choses exprimées ".
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Existe-t-il de l'intérêt
pour l'apprentissage interculturel ?
L'intérêt ne naît
pas toujours spontanément
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En effet, les témoignages
des deux premiers chapitres indiquent que l'intérêt
des habitants pour l'apprentissage interculturel ne se manifeste
pas spontanément. Il n'est pas ressenti comme un besoin prioritaire.
Les gens manifestent plutôt leur besoin d' être soi-même,
chez eux, en créant leurs " territoires " au sein
du quartier. Et ils font savoir aux gens venant d'ailleurs que leurs
initiatives visant à créer des passerelles pour que
les différents groupes se rapprochent, doivent respecter
ce besoin d'espace bien à eux.
En témoignent les propos tenus par de jeunes Marocains de
Liège à deux travailleurs sociaux, belge et maghrébin,
qui avaient décidé de se rapprocher d'eux en quittant
le centre social pour devenir animateurs de rue. Réaction
sans appel: " Vous n'êtes pas des nôtres ".
Ainsi les habitants des quartiers
multiculturels restent " insensibles " à des politiques
et des initiatives, qui sapent leur besoin d'appartenance. Si "
intégration " dans la société implique
de renoncer au peu de choses qui m'aident à savoir qui je
suis et d'en être fier, comment ma réaction pourrait-elle
être positive ? Car si la notion de " citoyenneté
" implique non seulement de bénéficier de ses
droits en tant que citoyen mais également de se sentir co-responsable
du bon fonctionnement de la société, elle présuppose
le désir d'y appartenir. Ce désir peut naître
en moi si cette société m'accepte et me valorise,
quand elle renforce mon estime de moi. " On ne peut pas être
méprisé et gentil à la fois ", dit Gaby
Etchebarne.
L'histoire des femmes africaines
de l'association DEFI, à Roubaix, auxquelles les représentants
des autorités municipales voulaient imposer des cadres dynamiques
" bien d'ici ", illustre une telle attitude méprisante.
A propos de ce dernier incident Marie Agbessi remarque combien la
logique administrative est souvent faussée par une approche
simpliste inadaptée à la vie réelle. Elle impose
de " faire " des choses (réaliser des projets,
des bilans et des évaluations) au lieu de partir de "
l'être ", c'est à dire de ce que les gens "
sont " en tant qu'êtres humains appartenant à
des groupes sociaux et culturels dont les visions sur la vie en
société peut différer de celles des autorités
administratives.
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mais
sensible à
l'invitation
de montrer sa propre
richesse culturelle
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La sensibilité à toutes formes concrètes
de séparation -quand elle n'a pas encore aboutie à
un rejet absolu de toute relation- peut également renforcer
une sensibilité inverse à tout ce qui puisse favoriser
la re-connexion. Ainsi, les initiatives en vue d'améliorer
la vie de quartier visent-elles à ré-établir
des relations: des espaces d'échanges dans une atmosphère
conviviale où les habitants du quartier viennent s'écouter,
rêver, sourire, créer, manger, boire, échanger
et débattre. Ces initiatives veulent répondre à
un besoin primordial de lieux de rencontre où l'on peut non
seulement s'exprimer mais aussi montrer ses propres richesses culturelles
; des lieux où l'on partage des règles communes garantissant
à chacun le respect, des lieux où dire les malaises
et l'espoir. Le théâtre, l'exercice de la parole, la
cuisine, le conte facilitent les contacts et répondent à
ce besoin d'estime de soi.
Pourtant, celles et ceux qui se
sont impliqué(e)s dans de tels efforts savent que le chemin
de la re-connexion en est un de longue haleine parsemé de
rechutes, de désillusions et de nouveaux départs.
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Qu'est-ce qui contribue
à la genèse et la persistance des problèmes ?
Cultures majoritaires
cultures minoritaires
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Si l'analyse des constats ci-dessus
se situe surtout sur le plan 'visible', les facteurs qui contribuent
à la genèse et à la persistance des problèmes
sont à chercher plutôt au niveau du moins visible,
de l'implicite, du non-dit, des moteurs symboliques qui ont tendance
à maintenir la situation du déséquilibre existant.
Se pose ici à nouveau la question de savoir : au fin fond
de son projet de société, l'Europe se veut-elle multi-
ou interculturelle ?
Pascal Aubert a fait remarquer
que la vie multiculturelle n'apparaît, pratiquement partout,
que comme un discours. En réalité la majorité
des interventions dans les quartiers dits " sensibles "
portent plus sur les obstacles culturels à l'intégration,
et donc la recherche de moyens pour les lever ou les amoindrir,
que sur l'acceptation et la valorisation de la présence de
personnes porteuses d'une multitude de cultures différentes.
En fait, il est plus question de relations interculturelles en vue
de permettre une meilleure intégration que de relations multiculturelles
qui sous tendent un certain équilibre entre les différentes
cultures et s'acheminent vers la définition de quelque chose
qui ne se réduise pas à l'une ou l'autre des cultures
en présence. Cette approche est certainement conditionnée
par les cadres mentaux français et belge qui ont vu se raidir
la perception de l'intégration à mesure que la situation
socio-économique se dégradait et que le regard sur
l'étranger se modifiait.
Un axe d'approfondissement pourrait
être celui de l'équilibre à trouver entre la
valorisation des cultures minoritaires (indispensable à la
dignité et qui seul permet l'échange) et l'intégration
à la culture majoritaire.
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Quels enseignements tirer
des efforts pour améliorer la vie de quartier ?
Mieux prendre en compte
les facteurs externes
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D'une part, il est évident
que des facteurs faisant partie du contexte plus large que celui
du quartier ont une influence extrêmement importante sur la
vie au sein de celui-ci. La politique des autorités publiques
par rapport à l'habitat, l'emploi, la gestion de l'afflux
d'habitants venant d'ailleurs détermine en grande partie
l'ensemble contextuel des problèmes. Ces facteurs sont à
gérer à ce niveau-là.
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Mieux valoriser les forces internes
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D'autre part, il y a lieu de se poser la question
de savoir si le vécu du quartier par ses habitants, si les
initiatives, les expériences et l'expertise des habitants
et des animateurs de quartier sont suffisamment pris au sérieux
par ces mêmes autorités publiques qui déterminent
les politiques par rapport aux quartiers " sensibles ".
Il semble que les efforts consentis au sein des quartiers pour faire
face à la situation et y remédier d'une façon
constructive, leurs succès autant que leurs échecs
constituent une mine d'or d'enseignements.
Ce serait - bien sûr - idéaliser
les quartiers multiculturels d'aujourd'hui que de suggérer
qu'ils sont autant d'embryons des sociétés interculturelles
de demain. Tout ce que nous nous risquons à avancer est que
- par nécessité de survie - une société
multiculturelle est tenue d'évoluer vers une société
interculturelle si elle ne veut pas finir par générer
une société d'apartheid, telle qu'on les connaît
trop bien.
Les quartiers multiculturels et
défavorisés d'aujourd'hui vivent déjà
cet apartheid spontané. Celui qui rend la vie tellement difficile
et constitue une telle menace de toutes sortes de formes de "
séparation " que leurs habitants y réagissent
soit par la violence, soit par la passivité, ou encore en
cherchant des solutions créatives qui aillent dans le sens
d'une re-connexion.
Les " ratés " actuels de la mondialisation ouvrent
peut-être des espaces de liberté pour la pratique de
conceptions alternatives. " La liberté ne se donne pas,
elle se prend ", dit-on. On trouvera plus sûrement les
combattants pour les libertés de demain chez ceux qui en
sont aujourd'hui privés que chez les consommateurs d'aujourd'hui,
héritiers amnésiques des combats d'hier. (R. Souchier).
Plus la réalité quotidienne
se présente comme une voie sans issue, plus elle incite à
des initiatives pour y faire face et créer de l'espoir. Bien
qu'elles émanent en majorité des habitants de quartier
eux-mêmes, elles restent le plus souvent ignorées de
la scène publique et ne paraissent pas souvent être
prises au sérieux par les autorités politiques et
administratives comme des conceptions " alternatives "
porteuses d'avenir.
A ces niveaux-là, l'écho
que peuvent avoir ces initiatives peut être immense ou marginal
selon que les leçons que des gens concernés en ont
tirés, sont (ou ne sont pas) en adéquation avec leurs
attentes, même non-explicites. L'attente de ceux qui sont
encore relativement " insensibles " à la réalité
multiculturelle - pure et dure - s'exprimera peut-être au
moment où la pression de la mondialisation posera tant de
problèmes que des approches alternatives, pratiquées
et expérimentées dans les quartiers dits " sensibles
" d'aujourd'hui, seront devenues une question de survie.
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Chapitre 4 : POUR CONCLURE…. |
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Pour conclure
relions le bilan de la démarche à
la question par laquelle nous avons commencé l'introduction
à ce texte : " pourquoi s'interroger sur la vie multiculturelle
de quartier ? ". Nous y avons suggéré que l'invite
" penser globalement et agir localement ", qui renvoie
à l'idée d'appartenance à un monde commun et
familier, pourrait en réalité s'avérer un "mot-valise"
bien vide si elle ne se nourrissait des réalités quotidiennes
que chacun comprend et vit.
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La mondialisation
marquant les limites |
Il s'avère que la mondialisation a des effets
divergents : d'une part, elle " intègre " de plus
en plus d'êtres humains dans " le village global ",
d'autre part, elle n'y accepte que les plus forts et isole les "
ratés " de la mondialisation. Ce phénomène
se manifeste autant au niveau international qu'au niveau des quartiers
urbains. Si la mondialisation marque les limites d'une façon
favorable pour ceux qui l'ont réussi, elle les marque d'une
façon doublement défavorable pour ceux qui l'ont raté.
D'une part, elle ne permet pas de sortir de l'isolement en donnant
accès là où on le désire (par exemple
le marché de l'emploi) ; d'autre part, elle ne garantit pas
l'espace culturel nécessaire pour se donner une identité
et une estime de soi.
La façon dont est orientée
la solution de ces problèmes dépend de ce que l'on
va entendre, à l'avenir, par " citoyenneté "
dans une société multiculturelle, que ce soit sur
le plan du " village global " ou au niveau des quartiers
urbains des grandes villes.
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" Citoyenneté ":
un terme à prétention universaliste... pas si universel
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Pour l'Europe d'aujourd'hui, la question
de la démocratie et de la citoyenneté est à
creuser de nouveau à la lumière du fait qu'elle devient
chaque jour un peu plus une société multiculturelle.
D'une part, l'estime de soi
et la dation de sens peuvent varier selon les groupes d'appartenances
de chaque citoyen. D'autre part, il n'y a pas de citoyenneté
sans reconnaissance mutuelle et engagement mutuel à respecter
les lois établies pour une organisation sociale sans cesse
ré-expliquée à tous et ré-adoptée
par chacun. Quoique ces deux éléments ne soient
pas nécessairement contradictoires ou mutuellement exclusifs,
il est difficile de trouver et de conserver entre eux un état
d'équilibre qui permette une interaction créative.
L'individualisme croissant des
sociétés européennes constitue un obstacle
à l'émergence d'une société interculturelle.
Faire référence à la richesse de la diversité
culturelle comme argument pour un dialogue interculturel risque
d'être un argument un peu court. En outre, peu d'efforts systématiques
sont engagés pour rendre explicite ce en quoi consiste cette
richesse. Ceux qui le sont n'effleurent souvent que la surface visible,
audible et 'comestible' des cultures en présence.
Il y aurait lieu, par exemple,
d'éclairer le fait qu'au sein de l'Europe la notion même
de " citoyenneté " est sujette à des perceptions
culturelles bien différentes :
· en France, le citoyen de 1789 naît pour s'opposer
à l'inégalité féodale et revendiquer
ses droits individuels, libérés des entraves groupales.
La notion de citoyenneté est fort liée à l'acceptation
d'un ensemble de principes politiques.
· en Irlande, il n'existe
pas de mot gaëlique pour citoyenneté;
· en anglais, le mot "citizenship " évoque
plutôt l'utilisation des services publiques ;
· aux Pays-Bas, la notion de " burgerschap "
est peu utilisée .
A part ces différences sur
le plan légal et social, une autre richesse à explorer
se cache dans les champs d'association liés à toute
une série de notions " communes " utilisées
dans la communication quotidienne. Que voilent, et que dévoilent,
les mots dans les différentes langues? Qu'associe-t-on à
des notions telles que amitié, solidarité, sécurité,
travail, chômage, voisinage, loyauté, tolérance,
loi, justice, police ou Etat ? Ont-ils le même sens pour une
Française, un Maghrébin, un Colombien, une Africaine
? Ou, au contraire, ces différences constituent-elles des
germes de malentendus et de conflits ?
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Le rôle du quartier
dans un monde globalisé |
A l'apport possible des quartiers multiculturels
pour la compréhension de l'avenir de nos sociétés
s'ajoute la question plus générale du rôle du
quartier dans un monde " globalisé ".
La notion de " mondialisation
" risque de nous amener à penser qu'il s'agit d'un processus
de renforcement des liens entre humains. Pourtant, on peut se demander
si ces liens sont autres que superficiels, voire virtuels. Le monde
semble se changer en un écran sur lequel, partout et à
tout moment, tout ce qui est imaginable se déroule. Mais
ce monde reste extérieur, séparé du Moi.
Nous aurons probablement de plus
en plus besoin de proximité, d'espaces où les personnes
soient réelles, où le soleil se lève et se
couche au même moment (?) pour tout le monde, où les
rires et les larmes soient partagés.
" Le quartier urbain ",
dit Giandomenico Amendola," est le meilleur moyen de lutter
contre la délocalisation et le déracinement, contre
la perte de la notion du temps, contre la virtualisation, autant
de tendances qui sont en train de changer nos vies et nos villes
".
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