Ouvrage collectif : La vie multiculturelle de quartier
: Quelles ouvertures vers l'autre ?
Chapitre 2 : AU DELA DES PROBLEMES,
DES TENTATIVES DE RAPPROCHEMENT |
Initiatives prises au
sein du quartier |
L'image qu'évoquent les témoignages
de la vie des quartiers défavorisés est plutôt
sombre. Cependant, dès que la question comment y remédier
est abordée, l'image se complète par un éclairage
sur les façons dont on tente d'aller au delà des problèmes
en cherchant des moyens de rapprochement. Les initiatives prises
au sein du quartier se passent en premier lieu dans la famille,
dans la cour d'un immeuble, au café, à la sortie de
l'école où les mères attendent leurs enfants.
Un bel exemple d'une telle initiative, est proposé par Gaby
Etchebarne, de Toulouse :
" Dans le quartier du Mirail,
à Toulouse, il y avait un groupe de casseurs qui incendiaient
les voitures de leurs voisins. Alors, des femmes maghrébines
sortirent dans la rue où les casseurs opéraient. Elles
commencèrent à taper très fort sur des casseroles
Les jeunes, impressionnés, s'en allèrent ".
Souvent, derrière des initiatives
d'action sociale se cachent des histoires toutes personnelles. Ainsi,
cette Malienne, Fanta Sangaré, participante à l'Atelier,
qui a décidé de transformer les douleurs de ses propres
expériences en action positive de soutien à d'autres
femmes vivant dans son quartier.
|
Une femme-relai
|
" Contre son gré, Fanta Sangaré, a été
mariée au Mali à un commandant d'arrondissement
polygame qui convolait en justes noces pour la cinquième
fois. Il ne lui reste plus qu'à noyer son chagrin dans
les études, son père demeurant insensible à
toutes ses suppliques.
Ni les maternités qui se succèdent, ni son diplôme
de l'Ecole des Instituteurs de Kayes, ne suffisent à lui
faire oublier les conflits quasi permanents de son foyer polygame.
Au bout de quatorze ans de bons et loyaux services, Fanta a pris
suffisamment d'assurance pour oser enfin dénoncer le contrat.
Aussitôt le divorce prononcé, elle prend le chemin
de Paris où vivent ses parents immigrés depuis trente
ans. Mais l'accueil n'est pas celui qu'elle espérait: une
nouvelle fois son père est intraitable. Et c'est auprès
d'une amie, militante de Femmes-Relais, qu'elle trouvera le réconfort
tant recherché. Elle lui ouvre à la fois la porte
de sa maison et celle de la vie associative.
L'Association nationale " Femmes-relais: médiatrices
interculturelles " est émanée de l'Association
Regroupement des Femmes Africaines de Pantin et du Pré-Saint-Gervais
(RFAPP), déclarée en octobre 1988. A partir de 1992,
elle connaît plusieurs transformations sans que ses activités
n'en pâtissent outre mesure, notamment ses actions bénévoles
et le travail avec les Centres de PMI, la Mairie de Bobigny. Née
de la volonté des femmes immigrées généralement
d'origine africaine d'améliorer la situation des compatriotes
et de leurs familles, cette Association s'est fixé divers
objectifs, à savoir: encadrer les femmes qui ne maîtrisent
pas la langue et les normes culturelles de la société
d'accueil, tout en essayant de parer à leur isolement.
Pour cela, elle multiplie la formation et l'information, les systèmes
de médiation et d'accompagnement social. Au travers d'un
personnel qualifié, elle essaie de trouver des solutions
aux situations conflictuelles. C'est ainsi que les femmes et les
hommes qui rencontrent des difficultés au niveau de leurs
enfants, de l'école, du logement, des aides financières,
du regroupement familial, de la régularisation de leurs
papiers (demande d'accompagnement à la préfecture)
peuvent frapper à la porte de l'Association. Les Mairies,
les Centres de PMI, les Centres socio-culturels et l'Aide sociale
à l'Enfance, sont les partenaires privilégiés
de l'Association.
Avec le GGAMS (Groupe pour l'Abolition des Mutilations Sexuelles),
elle organise souvent des séances de sensibilisation dans
les Centres de PMI.
Dans cette Association, les Maliennes sont nombreuses. Voilà
pourquoi la collaboration de femmes comme Fanta est précieuse.
Pendant trois ans, cette ancienne institutrice, après avoir
suivi des cours de formation pour formateur, a assuré les
cours d'alphabétisation. Aujourd'hui, elle est l'une des
pièces maîtresses de l'Association: sa présence
rassure les Africaines qui, en s'identifiant à elle, sont
plus à l'aise pour se confier dans leur langue maternelle.
Sa connaissance de la psychologie de la femme africaine, des superstitions,
des tabous, des interdits, lui permet d'aborder les problèmes
les plus épineux sans choquer, heurter ou braquer.
Mais il y a des jours où
Fanta est simplement dépassée. Comment convaincre
cette compatriote qui ne veut pas entendre raison. Huit fois mère,
elle refuse la contraception et déclare intraitable: "
Je continuerai à faire des enfants tant que Dieu m'en donnera.
" Dans une autre famille, deux frères jumeaux totalisent
trente-six enfants. L'une des épouses, 28 ans, neuf enfants,
est de nouveau enceinte. " C'est pour retenir le mari à
la maison " dit-elle à Fanta qui lui fait remarquer:
" Avec plus de dix enfants, ta co-épouse n'a pu empêcher
qu'il t'épouse. Y a-t-elle seulement pensé ? "
Ménopausée, elle est aux abois, persuadée
qu'une femme perd de sa valeur en perdant sa fécondité.
Et comment aider cette jeune Africaine de dix-huit ans, vivant
à Paris. Ses parents l'ont donnée en mariage à
un parent en Afrique et s'activent pour son départ. Seulement
voilà, elle n'est plus vierge et la seule manière
d'éviter l'humiliation à sa famille est de rétablir
son hymen. Fanta lui prête une oreille attentive et prend
rendez-vous avec la gynéco de la Protection Maternelle
et Infantile.
Au cours des réunions,
l'éducatrice malienne a souvent le sentiment que les femmes
sont les propres freins à leur évolution. "
Souvent, je les entends donner raison à l'homme qui bride
sa femme. Et dans l'éducation des filles, ces mères
sont convaincues qu'en donnant plus de liberté aux enfants,
elles finissent par vous échapper
"
En Afrique, l'échec d'un enfant est toujours perçu
comme celui de la mère. Ici, ces femmes analphabètes
continuent à endosser tout le poids de cette croyance.
Aussi les éducatrices du Centre travaillent-elles beaucoup
au niveau de la culpabilité de ces mères, en mettant
en exergue les différents enjeux de l'échec scolaire.
Ni les campagnes de sensibilisation,
ni la peur de la loi, n'empêchent les Africaines immigrées
d'exciser leurs petites filles.
" Lorsque j'ai appris qu'une collègue malienne du
Centre de PMI, qui répond à tous les critères
de la modernité, voulait profiter des vacances au pays
pour exciser sa fillette de 5 ans, je n'en revenais pas. Comme
elle ne voulait pas entendre raison, j'ai menacé de la
dénoncer à la PMI. Une autre a soutenu que ses deux
filles étaient excisées par le diable en personne
! ", précise-t-elle.
Au Centre, Fanta et les responsables
se sont battues, becs et ongles, pour obtenir un titre de séjour
à une Malienne. Elles ignoraient encore que cette démarche
généreuse devait leur valoir un cas de conscience.
En effet, cette femme est mariée à un Malien, titulaire
de la nationalité française. Et la préfecture
qui avait délivré des papiers à la première
épouse, a découvert le pot aux roses. La bigamie
n'étant pas autorisée en France, il y a lieu d'être
inquiet pour le droit au séjour de toute la famille.
Ainsi, le quotidien de Fanta
est loin d'être monotone. Sans doute est-ce cette vie au
service des autres qui enrichit la sienne et lui procure une joie
de vivre dont elle ne se départit jamais ! "
Gaby Etchebarne, d'origine basque,
raconte comment son expérience d'" immigrée "
en France lui a appris à mieux apprécier les éléments
positifs de la culture de sa propre " tribu " et à
accepter les réactions des réfugiés montagnards
au Laos vis-à-vis d'elle, l'étrangère qui "
violait leur besoin d'espace bien à eux "
" Je suis née au
pays basque. Quand j'étais enfant, je ne parlais pas le
français. Je l'ai appris à l'école à
l'âge de 7 ans. Je vivais dan un village de 800 habitants
où les six frères et surs de ma mère
(3 étaient religieux) étaient restés après
leur mariage. Nous étions 36 cousin(e)s germain(e)s dans
le même village. La "tribu", si elle aidait dans
des moments durs, exerçait sur ses membres son droit de
regard, ses jugements moraux exacerbés par la religion;
souvent, je me suis sentie "encagée" dans cette
cellule sociale. Les tensions et conflits étaient, autant
que possible, cachés "à l'ombre des maisons".
Ils touchaient d'ailleurs surtout les femmes. On ne divorçait
pas : on se taisait ; parfois les femmes se jetaient à
l'eau; les hommes se pendaient. La fille-mère était
méprisée et rejetée. Pour nous qui étions
mal habillés (on avait honte!), les vacanciers du petit
hôtel voisin étaient des princes et des princesses:
ils venaient des environs de Bayonne (à 60kms de notre
village!..) et on les appelait "les étrangers".
Ils se moquaient de notre accent, de notre mauvais français.
On se vengeait en se moquant d'eux, mais jamais devant eux.
Le "CAFE" était
le territoire exclusif des hommes. Les femmes y étaient
serveuses et... objets de la conversation des hommes... En général,
ça volait bas...
Les familles étaient nombreuses et la ferme n'était
que de 3 à 6 hectares. Le droit d'aînesse attribuait
la propriété à l'aîné(e); les
autres émigraient. Les hommes partaient en Amérique
comme bergers ou ouvriers agricoles. Les femmes partaient en ville
comme servantes. Plus tard, elles ont aussi émigré
en Amérique. Pour nous, ceux et celles qu'on appelait les
Américain(e)s avaient tous réussi... Ils nous envoyaient
des fripes pendant la guerre. S'ils revenaient une fois au pays,
ils payaient l'apéritif au bar, après la messe.
Ils arboraient une montre-oignon dans un gousset en or qui nous
épatait. Ceux qui avaient réussi à économiser
revenaient au pays, achetaient une ferme et se mariaient, parfois
à leur propre nièce ou cousine ...
Je n'ai pas souffert d'avoir
quitté ma "tribu". J'y étais très
attachée, mais en même temps en perpétuelle
révolte contre elle, car elle brimait ma liberté.
Cette ambiguïté, ces sentiments contradictoires m'ont
poursuivie toute la vie : désir de retrouvailles, déception
de la rencontre car quelque peu étrangère dans mon
pays d'origine... peut-être pour avoir intégré
les valeurs d'une autre culture..., pour avoir un peu oublié
ma langue, le basque. Plus tard, j'ai constaté que les
modes de vie, les valeurs de mon enfance et de ma jeunesse m'ont
aidée à comprendre le fonctionnement des groupes
culturels différents où j'ai vécu plusieurs
années. Par exemple, j'ai passé quatre ans au Laos,
au milieu des réfugiés montagnards mal vus par les
Laotiens de la plaine et refoulés dans la montagne comme
les Indiens et bien d'autres. Ils fuyaient les Viets et les bombardements
américains. Je voulais être comme eux, travailler
et manger comme eux, participer aux travaux agricoles ... J'ai
bien vite vu que je les gênais, que je ne respectais pas
leur " privacy ". Les femmes m'ont dit très gentiment:
" Quand on est aux champs, on préfère que tu
restes dans le village ... tu pourrais garder nos enfants. ".
Je violais leur besoin d'espace bien à eux.
Tout compte fait et avec le recul
des ans, le bilan de la vie au sein de la "tribu" est
positif. Le sentiment d'appartenance à un groupe dont on
est fier, à des racines, peut, soit isoler, replier, soit
faciliter les relations avec d'autres cultures et rendre créateur,
actif, ouvert. On peut adopter avec enthousiasme des valeurs,
des modes de vie positifs dont on était privé dans
son groupe d'origine qui les jugeait négatifs. Un de mes
amis m'a dit un jour : "Vous les Basques, vous pouvez vous
plaindre des Français qui ont tout fait pour vous intégrer
en oubliant votre culture. Mais vous reconnaîtrez malgré
tout qu'ils vous ont libérés de l'emprise des curés...".
Je ne peux dire le contraire.
Le plus difficile peut-être quand on vit avec des gens d'une
culture tout à fait différente de la sienne, c'est
décoder le sens des choses exprimées. Ah ... "
ce que les mots ne disent pas "...
Et l'on en revient toujours à
la conscience qu'on a de sa culture d'origine; si on en est fier,
si on en apprécie les valeurs, malgré le mépris
de l'entourage extérieur à son espace "tribal",
si on accepte aussi d'en dénoncer les aspects oppresseurs,
on pourra aller voir ailleurs pour les remplacer par des valeurs
qui nous paraissent positives.
Finalement, la vraie intégration
ne signifie pas renier sa culture pour prendre une autre culture;
l'intégration constructive est celle qui me permet de rester
ce que je suis tout en changeant, tout en prenant à mon
compte les aspects positifs, libérateurs de l'autre culture;
alors viendra le désir de parler la langue de cette autre
culture, de ré-apprendre sa langue d'origine si on l'a
peu ou beaucoup oubliée.
Reste à savoir si la deuxième
ou troisième génération de gens des quartiers
cosmopolites parlant - pour la plupart - mal leur langue d'origine
et la langue du pays d'immigration ont la possibilité de
connaître cette richesse interculturelle où l'on
peut s'immerger sans se perdre soi-même ".
Les activités initiées
par des animateurs de quartier, dans le cadre d' associations de
quartier, se donnent comme mission de faciliter la mise en relation
à différents niveaux: des rencontres entre les gens
du quartier, des activités culturelles et économiques,
des 'passerelles' entre quartiers et autorités. Leurs expériences
donnent lieu à des réflexions qui reflètent
enthousiasme, conviction, espoir, désillusion, et défi.
|
Le désir de parole et d'écoute
|
(Laetitia Mazoyer, Paris)
" En 1996, je gardais les
enfants de l'actuelle présidente de l'association, qui m'avait
parlé d'un projet qu'elle avait monté avec des amies
habitant le quartier pour ouvrir un café tenu par les femmes
du quartier. Les enfants et les parents pourraient venir y partager
des spectacles de contes, prendre un thé
De cette idée est née, en mai 1995, l'association
Le Sourire en Amande dont l'objectif est de susciter la parole des
habitants. Le conte est l'élément essentiel de la
démarche. Lors du premier spectacle de conte organisé
par l'association, je suis entrée dans la salle
et
n'en suis plus repartie. Le conte, par la réunion qu'il provoquait,
l'attitude, non plus de consommation mais d'échange autour
de la parole, répondait à mes attentes. L'activité
associative a amélioré ma vie au quotidien, j'ai fait
connaissance avec mes voisins, nous avons partagé des soirées
veillées.
Les habitants font, un samedi par mois, un spectacle suivi d'un
goûter. On s'échange des idées, des tuyaux,
des peurs qui, une fois exprimées, s'atténuent.
Depuis peu, avec les veillées, la création des contes
du quartier, nous avons constaté le désir important
de parole et d'écoute de la part des habitants.
Ainsi, en inventant, racontant notre histoire, nos rêves dans
le quartier, nous nous concevons différemment, notre pouvoir
créatif est mis en valeur.
Notre démarche s'appuie sur tous les réseaux possibles
du quartier (réseau associatif, écoles, bibliothèques,
gardiens, commerçants, foyers, habitants
).
Depuis que je travaille autour du conte, à de multiples occasions,
les gens que l'on rencontre lors des affichages, des promenades
nous racontent des histoires singulières et personnelles.
Je me souviens d'une dame rencontrée alors que j'attendais
l'ascenseur. J'avais mes affiches sous le bras, elle regarde les
affiches, je lui en donne une et pendant qu'on attendait l'ascenseur
dans le noir, elle me raconte comment sa grand-mère lui épluchait
une orange tout en lui contant une histoire pendant les séances
de hammam. Nous étions tout d'un coup ailleurs, elle remontait
le temps et moi j'imaginais l'orange. L'ascenseur est venu, on s'est
saluées. Je ne sais pas si cette histoire est significative,
trop " belle ", mais, en tous cas, de ces petites histoires
du quotidien, du souvenir et du présent, j'en accumule de
plus en plus grâce à mon travail dans l'association.
Au travers des expériences de création artistique
collective avec des gens de tout âge, de différents
milieux sociaux, des soirées échanges de paroles,
j'ai pu constater les possibilités de rencontre et les mille
malentendus possibles. C'est aussi ce qui fait la richesse des échanges
; on y constate la vraie diversité de chacun, la multiplicité
des regards qui permettent d'avoir des visions différentes
d'un même objet
".
|
Bien d'ici, bien d'ailleurs
|
(Marie Agbessi, Roubaix)
" Les fêtes transculturelles
de Roubaix, un moment d'échange fort, allient la convivialité
et l'esprit de fête. C'est dans ce contexte que notre association
DEFI a proposé un projet de mise en évidence des savoir
faire artistiques et culinaires des femmes privées d'emploi.
Cette initiative devait leur permettre de mettre en place une activité
économique au-delà des manifestations ponctuelles.
La démarche a été fort bien perçue par
les autorités locales et les partenaires sociaux. Cependant,
ils le jugent trop ambitieux pour le groupe, préférant
confier la gestion à un porteur qui appréhende mieux
la réalité économique d'un bassin d'emploi
fortement frappé par le chômage. Il faudrait entendre
par là qu'on préfère confier les choses sérieuses
aux jeunes cadres dynamiques bien d'ici qu'aux femmes bien d'ailleurs
de l'association qui apportent tous les jours la démonstration
que le projet est viable avec elles. Par des activités itinérantes,
elles réussissent à se procurer des revenus complémentaires.
Elles attendent qu'on veuille leur accorder la même confiance
qu'aux gens " bien d'ici " pour pouvoir démarrer
dans de bonnes conditions cette activité dont la viabilité
économique est largement prouvée.
L'interculturel peut donner tout
son épanouissement à un quartier si on ne sous-entend
pas dans les projets communs des sous-classes, prédestinées
à se limiter à un rôle folklorique de second
rang. Bien que le folklore soit en lui-même une base de richesse
culturelle à partager.
Toute la démarche de notre association consiste à
démontrer qu'il n'y a pas d'exclusivité culturelle
pour les gens bien d'ici et une culture jugée avec condescendance
pour les pauvres venus d'ailleurs. Il conviendrait d'évaluer
les capacités d'initiatives et les ressources humaines de
chaque groupe social à partir de critères et de conditions
équitables. Il ne nous appartient pas de nous lancer dans
des considérations morales, on se demande pourtant si l'interculturel,
tel qu'on le prône aujourd'hui, n'est pas encore un marché
de dupe réservé aux catégories marginalisées
? Nous voulons toutefois y croire ".
|
Tu n'es pas des nôtres
|
(Christian Mayerus et Hamid El Madjoubi, Liège)
" Nous sommes amenés
à développer un projet Maison des Jeunes à
Liège en Belgique. Notre public se compose majoritairement
de garçons d'origine marocaine âgés de 13 à
20 ans habitant les cités de logements sociaux. Dans celles-ci,
on retrouve des personnes âgées, des familles belges
de milieu populaire et des familles immigrées (marocaines,
turques, algériennes).
A deux reprises, des locaux ont été mis à la
disposition et ont fonctionné un certain temps. Mais, ils
ont été fermés parce que des jeunes les ont
vandalisés. D'après ce que nous avons recueilli comme
informations dans le quartier auprès des jeunes, c'était
du mécontentement dû aux heures d'ouverture irrégulières
et peu fréquentes (il y avait un animateur à mi-temps)
du local situé loin.
Depuis décembre, l'effectif a été triplé
(un temps plein et un mi-temps). Nous faisons donc du travail de
rue. Nous passons du temps avec les jeunes, sommes à l'écoute
de leurs désirs, développons des activités
à l'extérieur. Bref, nous tentons de construire des
relations d'avenir.
Le projet de local d'accueil est pour le moyen terme, même
si, pour les jeunes, c'est la préoccupation première.
Dans notre cas, il faut gagner la reconnaissance et la confiance
des jeunes. Ne pas leur promettre monts et merveilles (ils disent
qu'ils ont été déçus à ce sujet
par les anciens animateurs), pallier à leur sentiment d'injustice
(chaque quartier avoisinant a sa Maison de Jeunes). Nous savons
qu'il faut une très bonne gestion pour assurer l'ouverture
d'un local (heures d'ouverture par tranches d'âge ? !). En
discutant avec des plus grands, qui étaient ados à
l'époque des locaux, nous savons que nous pouvons compter
sur leur aide. Ils pensent sympathiquement à leurs petits
frères et voudraient quelque chose pour eux.
Dans cette cité, appelée parfois mini Droixhe, règne
un sentiment d'abandon. Celle de Droixhe, par exemple, dispose d'un
certain nombre d'(infra)structures. A Sainte Walburge, ils se sentent
laissés pour compte. Les rapports avec la police qui patrouille
ne sont pas bons.
Il est lourd de travailler (en tant qu'animateur de quartier) avec
le poids du passé (échecs répétés
suivis de moments qu'il ne se passe rien). Egalement dur de constater
que des jeunes marocains avaient des propos racistes envers moi
(" un occidental de souche ne colle pas en tant qu'animateur
dans nos quartiers ") et envers mon collègue marocain
(" tu n'es pas du même quartier que nous ")."
|
Portes ouvertes à la mosquée
et à la paroisse
|
(Jacqueline Lescuyer, Paris)
" Nous sommes implantés
dans la banlieue de Paris, dans le département des Hauts
de la Seine, dans des quartiers à forte population maghrébine
(musulmane) et africaine (chrétienne ou musulmane). Cela
a commencé par l'organisation de rencontres, à l'échelon
local ou départemental, pour que les gens aient une occasion
de se parler et de mieux se connaître: portes ouvertes à
la mosquée ou à la paroisse, à l'occasion de
fêtes religieuses des communautés ; tables rondes dans
des locaux privés ou publics sur des questions de sociétés:
logement, famille, prisons, violence, argent. On s'est engagé
dans des associations de quartier ayant des activités sociales,
dans des associations de parents
".
|
L'échange des épreuves:
moyen de rapprochement
|
(Basel A.A. Abu Said, Jérusalem)
" Après de longues
années de conflit et de guerre sanglante, j'ai commencé
par organiser des rencontres de dialogues entre de jeunes palestiniens
et israéliens dans mon quartier. La majorité des participants
était rigoriste et portait des sentiments de haine les uns
vers les autres. Il croyaient tous que ce serait un débat
politique, mais quand le dialogue a pris une orientation d'échange
d'épreuves et de souffrances, le résultat a été
le rapprochement des curs et la tendance à parler humainement,
et alors nous avons oublié nos racines et nous sommes passé
à l'échange culturel et à essayer de mieux
nous connaître ".
|
" Délices et Compagnie
"
|
(Youssef Haji, la Goutte d'Or, Paris)
" Depuis novembre 1997, j'ai
entamé, avec le groupe qui porte le projet 'Délices
et Compagnie', un travail autour de l'économie solidaire
intégrant la dimension interculturelle dans une démarche
de type entrepreneurial. L'inter culturalité fut un formidable
déclencheur d' appropriation et d'implication dans ce projet
axé sur l'autofinancement de postes de travail à partir
de prestations d'un service traiteur associatif et autour d'une
ligne culinaire intitulée 'Gastronomie du Maghreb et des
Diasporas'.
Ce projet a vu le jour dans le quartier populaire La Goutte d'Or
à Paris. "
|
Décoder le sens des choses
|
(Mahfoud Galizara, Avignon)
" Nos actions consistent à
mieux faire connaître la culture des uns et des autres en
essayant de mettre en valeur les ressemblances au niveau des symboles
et des rites et de convaincre qu'il est possible de vivre ensemble
avec nos différences. Ces dernières sont plutôt
des diversités dans la façon de vivre la même
chose que ce soit au niveau du comportement culturel ou de la pratique
religieuse.
Pour cela, nous agissons à trois niveaux :
a) Dans les établissements
scolaires: expliquer ce que signifie les différences ethniques,
culturelles et religieuses, les causes socio-économiques
qui entraînent le rejet de l'autre, les contre-exemples
(celui du département français où vivent
en harmonie cinq ethnies et quatre religions: La Réunion
; et là, les " casseurs " sont des Blancs et
les nantis se plaignant de ces derniers sont des Musulmans d'origine
indienne appelés " Les Arabes "). On montre également,
à partir de photos, la beauté physique du métissage
; Montrer le fonctionnement des mass-médias (ce qui fait
l'événement est souvent ce qui ne va pas), dénoncer
la désinformation consciente ou inconsciente de celles-ci.
b) Dans les quartiers : favoriser au maximum les occasions de
rencontres entre les populations d'origines différentes:
- à travers l'organisation de fêtes (Ramadan, fêtes
religieuses, fêtes de fin d'année avec des groupes
de musique diverse) ;
- la commémoration d'évènements importants
(cent cinquantième anniversaire de l'abolition de l'esclavage,
quatre-vingtième anniversaire de l'Armistice concernant
la participation des Africains et des différentes colonies
à la grande guerre pour défendre la France, cinquantième
anniversaire de la Déclaration Universelle des Droits de
l'Homme,
).
c) Au niveau de la ville: organisation de conférences sur
des thèmes de sociétés, sur des sujets se
rapportant aux problèmes d'identité, de citoyenneté
et aux échanges culturels.
|
|
Ces expériences nous ont appris que les
populations en général, et les jeunes en particulier,
sont prêts à changer leurs faux préjugés
sur les autres si on les aide à décoder le sens des
choses exprimées.
A partir de là, il devient possible d'engager des projets
communs dans l'intérêt du quartier ou de la collectivité
concernée. On découvre alors plusieurs choses :
- les problèmes sont
les mêmes pour tous
- les valeurs qu'on partage sont beaucoup plus nombreuses que
les différences
- les solutions proviennent des actions de solidarité et
jamais de l'exclusion
- la vie est plus agréable et plus facile lorsqu'on réussit
à abattre toutes les barrières qui nous isolent
des autres ".
|
Initiatives provenant
de l'extérieur: solidarité en action |
|
Six femmes face au racisme
|
En 1995, six femmes contactent les associations
les plus actives de la ville de Toulouse. Parmi elles Gaby Etchebarne,
participante à l'Atelier de Bruxelles. Elles leur proposent
le théâtre comme moyen de lutte contre le racisme et
l'exclusion. Neuf associations donnent leur accord et constituent
le collectif " Théâtre contre le Racisme et l'Exclusion
".
Cette idée était née d'un double constat: les
disparitions en Argentine et la montée du " racisme
ordinaire ". En effet, l'une de ces femmes avait vécu
et travaillé avec des hommes et des femmes qui furent torturés
et assassinés par les militaires argentins en 1977 sous la
présidence du général Videla. Leur mort serait-elle
inutile ? N'était-il pas nécessaire de transmettre
la mémoire afin de ne pas oublier l'histoire, afin de ne
pas être condamnés à la revivre un jour dans
toute son horreur ? Les six femmes pensaient s'inscrire ainsi dans
cette longue lignée de femmes qui assurent ce rôle
au cours des siècles, au sein de leur famille et de leur
peuple.
Le deuxième constat était celui du racisme ordinaire
exacerbé par les situations de chômage et d'exclusion
de plus en plus dramatiques dans leur société. Cette
angoisse du lendemain entraînait souvent la recherche d'un
bouc émissaire et l'étranger, comme toujours, était
désigné comme le responsable de ces fléaux.
Interrogées sur le choix
de leur moyen d'action, voici ce qu'elles répondent :
Pourquoi le théâtre ?
" Comme tout le monde, nous
nous trouvions confrontées à des personnes tenant
des propos racistes, dans la famille, dans la rue, chez les voisins
On tentait d'y répondre avec nos arguments. Mais
la mayonnaise ne prenait pas et les gens nous rétorquaient:
" Tu ne comprends pas ce que je dis
". Il s'agissait
de réactions viscérales face à des problèmes
économiques et sociaux. Il faudrait trois millions d'emplois
pour faire baisser le racisme mais, en attendant, resterions-nous
les bras croisés ? A des réactions " venant
des tripes ", pourquoi ne pas opposer des réactions
" venant des tripes " ? Par ailleurs, n'étions-nous
pas tous un peu racistes quelque part ? Peur de la différence,
angoisse de ce qui est étranger, anxiété
de communiquer avec un monde différent, une culture différente
Répondre à l'émotion par l'émotion
sans renoncer bien sûr au dialogue de tous les jours. Or,
l'expérience du théâtre chez certains membres
du groupe nous avait donné la certitude qu'il était
un moyen privilégié d'établir un dialogue
entre acteur(trice)s et spectateur(trices)s. Le théâtre
nous paraissait donc capable d'établir cette communication,
à condition qu'il soit vrai, que tous et toutes y reconnaissent
un morceau de leur propre vie. Si le théâtre était
un reflet de ce que nous sommes, il pourrait remuer, pousser au
changement, donner envie de communiquer
découvrir
qu'on a besoin de celui qui est différent, qu'on n'est
pas des dieux. Comme dit le proverbe arabe: 'celui qui reste sur
le pas de sa porte est un homme mort'.
Ainsi naquirent " les femmes aux allumettes
"
" Un metteur en scène,
jeune souffrant du racisme à cause de la couleur de sa
peau accepta d'écrire notre première pièce.
Il l'intitula " Les Femmes aux Allumettes ". Le texte,
très poétique, avait un fil conducteur: la transmission
de la mémoire: rappel de l'esclavage des noirs, de la guerre
de 40-45 avec la lâcheté des uns, la souffrance des
autres, la situation actuelle de chômage et de précarité
Elle était toujours suivie d'un débat parfois
passionné mais toujours riche en constats et questionnements
quant aux moyens à opposer à l'indifférence
et aux manuvres des " racistes organisés "
pour prendre le pouvoir. La première eut lieu dans un quartier
multiculturelle de Toulouse ; elle fut un succès.
Nous avons joué "
Les femmes aux Allumettes " une trentaine de fois dans les
quartiers, dans les communes autour de Toulouse et même
dans d'autres villes de France ; nous enregistrions les débats
pour en garder la mémoire.
Puis, un week-end de 1997, nous
avons organisé le Festival GRAINS DE SABLE qui rassembla
un millier de gens de toutes origines, dans un grand parc, avec
des groupes de musique (rap, batucada
), de théâtre,
de réalisations picturales par les jeunes taggeurs de quartiers
(les tableaux furent vendus aux enchères le dernier jour).
Parmi toutes les troupes, le Théâtre sans Frontières
nous fit goûter le plaisir d'un Théâtre-forum
auquel participèrent de nombreux spectateurs. Trois saynètes
racontaient une histoire réelle de sexisme, racisme ou
xénophobie ; la " metteur en scène " invitait
ensuite le public à remplacer la victime ou l'oppresseur,
dans le but de renverser la situation. De fait, il s'agissait
d'un vrai débat où la réflexion sur ces situations
était menée par tous sur le podium. Tout était
dit dans un dialogue non-violent, avec, en prime, de nombreux
éclats de rire.
A notre demande, Marie-Josée
Ereseo, directrice de Théâtre sans Frontières,
formée par Augusto Boal (un Brésilien qui a inventé
cette méthode de théâtre interactif) a accepté
en 1998 de nous initier à deux des formes de ce théâtre:
le Théâtre-Image et le Théâtre-Forum.
Et ce fut le troisième volet de notre projet théâtral
depuis la création du collectif. Nous avons été
16 sur la scène, toulousain(e)s d'origine maghrébine,
africaine et française. Notre dernière prestation
a eu lieu le 26 mars dernier dans un quartier cosmopolite de Toulouse
et ce fut peut-être notre meilleure soirée, la plus
riche, la plus vraie
Nous avons de nombreuses demandes
auxquelles nous ne pouvons répondre: il est difficile de
poursuivre longtemps avec des comédiens-amateurs bénévoles
à la situation précaire et changeante. Nous le regrettons
beaucoup mais nous n'y pouvons rien
" Vos mots pour le dire "
Et nous nous retrouvons dans
une période de création. Marie Josée Ereseo,
une fois de plus, a accepté de monter avec nous (les six
Femmes aux Allumettes sont neuf maintenant) une nouvelle pièce.
Elle sera basée sur les nombreux débats enregistrés
lors des représentations de la première pièce.
C'est un matériau très riche provenant d'un public
d'origines culturelles diverses. Nous pensons être prêtes
pour novembre 1999. La pièce s'appellera 'Vos mots pour
le dire' ".
|
Constats |
A l'origine des actions : problèmes quotidiens ... ou occasions
manquées
La description des initiatives
prises au sein des quartiers ou issues de l'extérieur montre
qu'elles naissent d'une perception de ce qui fait problème
pour les gens (violence, manque de communication, problème
de langues, précarité), mais qu'elles sont aussi inspirées
par la conviction que nombreuses sont les occasions manquées
d'enrichir les nécessaires contacts interculturels.
Objectif : rapprocher !
Le plus souvent, on a recours à
des méthodes qui se caractérisent par des efforts
de rapprochement : dans les écoles, la paroisse et la mosquée,
des locaux d'accueil, des maisons de jeunes, la salle de théâtre.
Le chemin vers le rapprochement visé ne se caractérise
pas uniquement par la recherche d'harmonie (l'écoute, le
dialogue, les contes, les repas communs). Il passe aussi bien par
la confrontation provoquée afin que les gens disent leurs
différences d'opinion ou de comportement et apprennent à
vivre avec. Le théâtre (" Vos mots pour le dire
") décrit par Gaby Etchebarne en est un exemple parlant.
Quoique le succès de tous
ces efforts varie, les observations des animateurs de quartier sont
plutôt positives : bien que le chemin du rapprochement soit
semé d'épines et ne s'achève jamais, il peut
mener à la reconnaissance que ce qui unit les gens (: les
problèmes, les intérêts, les joies et les valeurs
qu'on partage) est aussi présent que tout ce qui les sépare.
|
|
|