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La recherche d'une nouvelle instance
de représentation des citoyens à l'échelle
du monde avait été évoquée dès
la fin de la deuxième guerre mondiale par les fondateurs
des divers mouvements dits « mondialistes », tels que
les Citoyens du Monde. Ces groupes préconisaient l'instauration
d'un gouvernement mondial capable de dépasser les frontières
géographiques et étatiques, pour gérer les
destins humains profondément brisés par les guerres.
La notion de gouvernement mondial était non seulement très
controversée mais aussi difficilement applicable, car le
cadre politique de guerre froide qui s'est alors imposé entre
les grandes puissances a gelé cette tentative.
Cependant, à l'époque de la mondialisation, la question
de la nécessité et de la viabilité d'un Parlement
Mondial se repose avec une acuité particulière. Non
seulement les responsables politiques mais également les
citoyens ressentent le besoin de bâtir une nouvelle instance
capable de réguler les conflits afin de vivre en paix dans
un monde de diversité.
La perspective de concevoir un Parlement Mondial
s'est esquissée tout au long des années 80 et au début
des années 90. Les Conférences organisées par
les Nations Unies, suivies en parallèle par les rassemblements
d'Ong, ont annoncé l'émergence d'une nouvelle société
civile à l'échelle mondiale. Nouvelle, car elle se
débarrassait des anciens modèles idéologiques
et des vieilles méthodes d'organisation sociale et politique
et elle commençait à ouvrir de nouvelles voies pour
faire face à la globalisation capitaliste. Recherche de nouveaux
paradigmes, de nouvelles relations masculin-féminin, de nouveaux
rapports entre générations, valorisation de l'interculturalité,
de la diversité, revendications de nouveaux droits humains,
recherche d'une nouvelle relation avec la Terre et avec l'Univers
: tous ces éléments ont constitué un terrain
fertile pour cette nouvelle société civile mondiale,
de plus en plus pluriculturelle.
Cette émergence est survenue au moment où
on assistait à des changements majeurs : la chute du mur
de Berlin en 1989 marquait un point d'inflexion historique, la globalisation
capitaliste devenait le système dominant incontesté…
certains ont même affirmé l'avènement de «
la fin de l'histoire ». Les citoyens se sont retrouvés
face à un capitalisme auquel ne s'opposait plus aucun adversaire
idéologique ou économique, la société
soviétique et ses satellites se décomposant inéluctablement.
Une nouvelle globalisation des marchés, financiers et commerciaux,
une expansion de plus en plus forte de la modernisation capitaliste
ont profondément transformé l'économie, la
société, la culture.
Au début du 21e siècle, le premier
Forum Social Mondial à Porto Alegre, Brésil, a représenté
une perspective nouvelle de rassemblement de cette société
civile mondiale, plus autonome des instances des Nations Unies.
L'Alliance pour un monde responsable, pluriel et solidaire, initiée
en 1994, constitue aussi une démarche inédite et pionnière
des nouvelles formes de construction de cette citoyenneté
à échelle mondiale qui se profile au seuil de ce nouveau
siècle. D'autres alliances et réseaux internationaux
se développent également, dont le Conseil International
du Forum Social Mondial réunit environ une centaine.
La poursuite des Forums Sociaux Mondiaux constitue
une perspective prometteuse. Le troisième FSM vient d'avoir
lieu et a été plus suivi que le premier. Le prochain,
en janvier 2004, se tiendra à Mumbai en Inde. Il sera précédé
par de nombreux forums continentaux et thématiques. Cette
rencontre annuelle est un rendez-vous indispensable pour que se
réunissent les acteurs des nombreuses et diverses initiatives
qui se battent pour une mondialisation citoyenne capable de contrecarrer
l'hégémonie d'une globalisation dirigée par
les puissances capitalistes, et notamment par les forces les plus
conservatrices du système politique nord-américain.
Mais la poursuite des Forums Sociaux Mondiaux ou d'autres rassemblements
internationaux similaires, gagnerait à être polarisée
par la perspective d'un Parlement Mondial. Autrement ils risquent
de se diluer ou de s'éparpiller.
Une des principales propositions issues de l'Assemblée
Mondiale de Citoyens qui s'est tenue à Lille, France, en
décembre 2001, a été de lancer l'idée
de préparer un Parlement Mondial de Citoyens.
Cette proposition germait déjà dans les réflexions
des groupes de travail de l'Alliance pour un monde responsable,
pluriel et solidaire depuis plusieurs années. En particulier,
les chantiers thématiques travaillant autour des questions
de la gouvernance mondiale et du renouveau des systèmes politiques
avaient mis en avant la nécessité d'une refondation
des systèmes de gouvernance à l'échelle planétaire.
Il est significatif de constater que lors de l'Assemblée
Mondiale de Citoyens, cette idée ait été avancée
par les participants du groupe d'Amérique du Nord. En effet,
Rob Wheeler, Coordinateur du Millennium Peoples Assembly Network
basé à New York, a lancé cette proposition
lorsqu'il a rendu compte des travaux de ce groupe. Il est également
significatif que Siddhartha, animateur de l'Alliance en Asie-Pacifique,
basé à Bangalore, Inde, ait repris cette idée
dans son discours de clôture de cette même Assemblée.
Cela étant dit, un Parlement Mondial des
Citoyens constitue un défi inédit. Bâtir une
instance représentative, démocratique, à l'échelle
du monde est une tâche à laquelle les citoyens n'ont
pas été confrontés. Ne serait-ce qu'au niveau
national, la représentation proportionnelle des populations
et des cultures, la participation active des citoyens, la gestion
responsable des élus, la transparence des médias,
le contrôle effectif de l'exercice du pouvoir par ceux sur
qui ce pouvoir s'exerce, sont des tâches qui manquent dans
les systèmes démocratiques. Elles représenteraient
des problèmes encore plus aigus à un niveau mondial.
De plus, les pratiques démocratiques ne
sont pas répandues partout et par ailleurs, dans les pays
qui se réclament d'une vielle tradition démocratique
les phénomènes de corruption, d'impunité et
de manque de transparence dans la gestion des affaires publiques
sont très fréquents.
L'invention de nouvelles instances de participation
et d'action des citoyens, en complément des alliances, des
forums, des partis ou des mouvements sociaux, est un défi
crucial de notre époque. La préparation d'un Parlement
Mondial de Citoyens peut sembler une tâche immense, mais paradoxalement
elle peut aider à surmonter certains obstacles dans la recherche
d'un renouveau démocratique à l'échelle du
monde. L'élan que cette nouvelle donne provoquera sur la
scène internationale favorisera la remise en question des
structures internationales et intergouvernementales qui demeurent
entravées par des pesanteurs bureaucratiques imposées
par les systèmes étatiques sur lesquels tout le monde
s'accorde à dire qu'ils sont devenus obsolètes et
impuissants.
Le forum électronique animé par Rob
Wheeler, Arnaud Blin et Germà Pelayo lancé en octobre
2002, et que la Fondation Charles Léopold Mayer pour le progrès
de l'Homme a soutenu pendant sa première phase achevée
en avril de cette année, constitue une initiative féconde.
Elle a permis un débat à distance par Internet, interculturel
et multilingue, entre citoyens, hommes et femmes, de toutes les
régions du monde, sur les questions essentielles que pose
le projet d'un Parlement Mondial de Citoyens. Cette initiative peut
avoir une signification historique en ce début de 21e siècle,
car à une époque où les crises et les guerres
augurent un avenir sombre, voire plus sombre encore que celui qu'ont
connu nos grands-parents au début du 20 e siècle,
un Parlement Mondial de Citoyens peut apparaître comme une
ambition utopique, mais peut également représenter
une opportunité historique pour cette génération
et les suivantes.
Il n'est pas nécessaire de dire que le dossier
que vous avez entre les mains n'est pas un livre. C'est un document
de travail collectif dont les auteurs sont les participants et l'équipe
d'animation du forum électronique.
Ce type de publication illustre en quelque sorte la volonté
de faire du projet d'un Parlement Mondial de Citoyens au 21 e siècle
une aventure collective et démocratique.
Gustavo Marin
Fondation Charles Léopold Mayer
pour le progrès de l'Homme
Paris
Septembre 2003
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