Numéro 6 | Août 2000 | ||
Sommaire |
GOUVERNANCE MONDIALE La gouvernance mondiale correspond-elle aux préoccupations actuelles des peuples, ou est-ce un concept réservé aux "décideurs" ? Elle est parfois perçue comme un alibi, notamment au Sud de la planète, ou bien comme un exercice de style imposé ayant peu de rapport avec les problèmes concrets et servant de masque aux relations ambiguës et rapports de force existants entre les acteurs principaux de la vie internationale (Etats, institutions multilatérales, firmes multinationales). Pourtant, un nombre croissant de questions qui se posent de manière dramatique à l'aube du XXIème siècle ne peuvent plus être résolues aux seuls échelons local, national ou même régional. Le changement climatique et la hausse du niveau des mers, la déforestation massive et la perte des ressources génétiques, l'expansion de la pandémie du Sida et la dégradation générale de la santé des populations, l'enlisement de pays ou de régions entières dans la violence et l'éclatement de guerres meurtrières qui ne servent que les intérêts de leurs promoteurs, les menaces qui pèsent sur le maintien des droits économiques et sociaux ou la diversité culturelle des peuples : autant d'exemples qui appelent des réponses globales et des solutions concertées, pour lesquelles les recettes du passé ne sont plus opérantes. Les recettes du passé ne sont plus opérantes Pourquoi envisager ces questions en terme de gouvernance ? Parce que les crises actuelles amènent à reconsidérer non seulement les formes de gouvernement existantes, mais surtout les relations instituées entre gouvernants et gouvernés. Au cours des dernières décennies, sous l'influence des mutations économiques, technologiques et sociales, les anciennes frontières entre domaine public et domaine privé, et leurs responsabilités correspondantes, ont changé profondément. Envisagée de façon rigoureuse, la gouvernance n'est donc pas seulement un discours à la mode, mais peut constituer une direction pour l'élaboration de propositions pouvant conduire à la mise en place de réponses aux problèmes concrets qui se posent à nos sociétés. La crise du système multilatéral mis en place après la deuxième guerre mondiale est un des aspects les plus évidents de la nécessité d'une meilleure gouvernance, en l'occurrence mondiale. Sur ce plan - où les conditions formelles de la démocratie ("le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple") sont encore loin d'être réunies - les propositions simplistes sont notoirement insuffisantes. Les conditions formelles de la démocratie mondiale sont loin d'être réunies Les débats qui ont eu lieu à New York au Forum du Millénaire (22-26 mai 2000), en préparation à l'Assemblée du Millénaire des Nations Unies (septembre 2000) illustre malheureusement la difficulté qu'ont certains acteurs, même issus de la société civile, de sortir des solutions du passé ; difficulté dont témoignent les points de vue de deux participantes, Claire Sabourin (Québec) et Edith Sizoo (Pays-Bas). Au même moment, une rencontre informelle d'allié(e)s concerné(e)s par la gouvernance mondiale à Villarceaux (France) à également mis en évidence le vide actuel sur cette question (voir Brainstorming sur la Gouvernance Mondiale). Ce vide constitue une opportunité, parce qu'il ouvre la possibilité d'une participation plus large et collective à sa mise en place ; mais c'est aussi un risque, si cette possibilité n'est pas concrétisée dans les prochaines années. En l'absence d'une bonne gouvernance mondiale, ce sont les grandes puissances du moment, mais aussi les entreprises multinationales, les lobbies militaires et scientifiques, et les mafias qui dictent les conditions et profitent de la mondialisation à leur seul avantage, au détriment de la grande majorité. Rebâtir un système international cohérent et légitime Le besoin actuel n'est donc pas, ou pas seulement, de tracer le plan de nouvelles institutions, mais bien de s'engager dans une véritable réforme pour rebâtir les relations internationales sur de nouveaux principes et un contrat clair entre nations, institutions, société civile et acteurs privés à la hauteur des enjeux du moment. C'est à cette tâche complexe que s'est attelée le chantier "Gouvernance mondiale" de l'Alliance qui propose un texte longuement mûri dans lequel sont exposés trois principes fondateurs devant assurer la cohérence des réformes à engager, des règles de légitimation des différents acteurs et quelques pistes concrètes vers la gouvernance (lire version éditée du document d'amorçage du chantier). Dans certains domaines (eau, système financier, sécurité, etc.), la réflexion sur les conditions d'une bonne gouvernance à l'échelle mondiale est avancée mais demande une élaboration collective plus poussée et une diffusion plus large. Plusieurs chantiers de l'Alliance travaillent dans cette direction ; nous publions dans ce dossier quelques-unes de leurs contributions thématiques (voir L'extra-nationalité, Sécurité, L'industrie du crime et L'eau7). Les réponses vont souvent à l'encontre du simplisme et du sens commun. Elles s'appuient sur l'exercice concret de la subsidiarité active, sur le sens de la responsabilité et le respect de la pluralité. Elles se heurtent malheureusement souvent aux pouvoirs en place et aux intérêts établis des technostructures ou des lobbies. Le monde sera reconfiguré depuis la base Comment avancer et dépasser l'inertie ? Les participants de la rencontre de Beyrouth « pour un renouveau de la pensée politique » (novembre 1999), venus des cinq continents, ont affirmé la nécessité de prendre en compte le dynamisme de la société civile dans les questions de gouvernance ; et plusieurs partenaires de l'Alliance s'attachent à valoriser et favoriser l'articulation de divers mouvements sociaux. Dans ces lieux d'exercice de la citoyenneté doivent aussi être recherchées les propositions et pratiques alternatives pour une meilleure gouvernance (voir Les mouvements sociaux, Forum Social Mondial et Renouveau politique). Marcos Arruda (Brésil) défend une thèse semblable en indiquant que le monde sera reconfiguré depuis la base, quand nous aurons imaginé un système de gouvernance réellement démocratique qui reconnaît et valorise la diversité humaine et le potentiel subjectif et singulier de chaque personne, de chaque communauté ou groupe social et de chaque nation (voir Quel futur pour l'Etat-Nation ?). La recherche d'une gouvernance authentique et participative suppose donc une prise en compte attentive des dynamiques sociales. Au niveau mondial, cela va de pair avec une reconnaissance et le respect du contexte culturel et historique de chaque région. L'historien africain Joseph Ki-Zerbo (Burkina Faso) montre que la question d'une bonne gouvernance n'est pas étrangère à l'Afrique, à condition de comprendre comment l'histoire lui imprime un tour particulier dans ce continent (voir Le cadre historique de la gouvernance en Afrique). Pour conclure, osons une réponse à la question qui ouvre ce dossier : « La gouvernance mondiale au XXIème siècle sera populaire ou ne sera pas ». Elle sera légitime si les peuples reconnaissent dans le système qui sera mis en place une juste représentation de leurs préoccupations et de leurs intérêts. Elle sera durable si les peuples constatent qu'elle offre des solutions équitables aux problèmes globaux de notre temps. Et elle sera effective si les peuples se retrouvent dans ses manières de faire parce qu'ils y auront été associés dès le départ. P.J & Ph.G |