Numéro 6 | Août 2000 | ||
Sommaire |
GOUVERNANCE MONDIALE Les changements historiques s'opèrent rarement par consensus universel, mais plutôt à travers des crises économiques, sociales, politiques ou religieuses. Les périodes d'immobilisme sont suivies de brusques réajustements dans les systèmes de valeurs et d'échange. Souvent, l'irruption de mouvements sociaux sur la scène catalyse les changements et provoque la réorganisation des systèmes de gouvernance. Ces mouvements expriment en effet l'urgence de solutions pour de larges segments de la population et la crise de la relation entre ceux-ci et les élites dirigeantes. Ils naissent précisément du décalage entre ce que les groupes humains sont en droit d'attendre, et ce que les structures économiques, sociales, politiques, mentales ou culturelles permettent. La toile de fond des mouvements sociaux contemporains est constituée par les phénomènes de mondialisation et de globalisation, qu'il faut distinguer soigneusement : La mondialisation traduit l'interdépendance de plus en plus évidente de tous les sous-ensembles de l'Humanité. C'est un phénomène de longue durée, ni positif ni négatif, qui oblige l'Humanité à comprendre l'articulation des défis se présentant à elle, du niveau local au niveau global. Certains mouvements sociaux sont parmi les acteurs qui comprennent le mieux cette nouvelle situation, et inventent des manières d'agir diversifiées et adaptées. La globalisation correspond à la domination actuelle d'une idéologie, basée sur l'analyse économique libérale et promouvant une division internationale du travail au bénéfice principal de quelques grands acteurs économiques. Ses effets sont conjoncturels mais spectaculaires en termes de croissance inégale et de développement non durable. Elle est un des principaux freins à une interdépendance assumée par l'ensemble de l'Humanité, qu'elle met pourtant paradoxalement à l'ordre du jour. Une caractéristique souvent évoquée de la période actuelle est la prétendue fin des idéologies, dont le néolibéralisme pourrait bien être la dernière forme dominante. Les mouvements sociaux actuels obéissent en effet à des motivations et des valeurs très diverses. Aucune grande idéologie ne semble en émerger. Il faut plutôt s'en réjouir. C'est la conscience émergente de toute l'Humanité de vivre dans un contexte commun malgré l'infinie diversité des situations concrètes, l'expérimentation de nouvelles formes de mobilisation et de participation, le sentiment d'un combat commun malgré la diversité des points de départ, qui procurent leur cohésion et leur articulation dans la pratique. Le contexte actuel favorise ainsi l'émergence de propositions concrètes et l'articulation des mouvements sociaux au niveau international, comme l'illustre bien la convocation du 1er Forum Social Mondial en janvier prochain au Brésil (lire ci-dessous). P.J Un autre monde est possible Les tenants de l'actuel ordre économique mondial se retrouveront, comme d'habitude, à Davos, au Forum Economique Mondial. Ceux qui, dans tous les pays, s'opposent à la « pensée unique » et travaillent à la construction d'alternatives, se réuniront, au même moment, à Porto Alegre (Brésil), du 25 au 30 janvier 2001, en un Forum Social Mondial. Le Forum Social Mondial (FSM) sera un nouvel espace international pour la réflexion et l'organisation de tous ceux qui s'opposent aux politiques néolibérales et construisent des alternatives pour donner la priorité au développement humain et mettre fin à la domination des marchés financiers. Le FSM aura lieu chaque année aux mêmes dates que le Forum Economique Mondial de Davos. Depuis 1971, ce forum économique joue un rôle stratégique dans la formulation de la pensée de tous ceux qui promeuvent et appliquent les politiques néolibérales dans le monde entier. Sa base d'organisation est une fondation suisse dotée d'un statut consultatif auprès de l'ONU, et financée par plus de 1 000 entreprises multinationales. L'espace créé par le FSM servira à la formulation de perspectives générales, à l'échange d'expériences et à la mise en place de coordinations tactiques et stratégiques entre organisations non gouvernementales (ONG), mouvements sociaux, syndicats, associations et groupes de citoyens dans chaque pays, et ce aux niveaux continental et mondial. C'est à ces organisations qu'il appartient de relever le défi de la promotion et du financement du FSM. Pendant le déroulement du FSM, d'autres événements et manifestations visant les mêmes objectifs devront avoir lieu dans le monde entier. Des conférences et débats devront être organisés en parallèle pour impliquer directement le maximum de citoyens. La proposition de lancer le Forum Social Mondial découle des grandes mobilisations de Seattle, à l'occasion de la conférence ministérielle de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) en novembre 1999, et de Washington en avril 2000, contre les politiques du Fonds Monétaire International (FMI) et de la Banque mondiale. Ces mobilisations - et beaucoup d'autres - ont spectaculairement mis en évidence l'émergence d'un mouvement civique transfrontières. Les grandes institutions internationales habituées, depuis des décennies, à prendre, hors de tout contrôle démocratique, des décisions engageant la vie de centaines de millions de personnes découvrent qu'elles ont désormais des comptes à rendre aux opinions publiques. Les gouvernements doivent également savoir que cette vigilance s'exercera avec encore plus de rigueur à leur égard. Pour certains d'entre eux, il ne sera plus possible de prétendre s'être fait " imposer " d'en haut des mesures néfastes pour leurs peuples, alors qu'ils ont contribué à leur élaboration, ou les ont cautionnées, au sein même de ces institutions. Eux aussi doivent rendre compte devant leurs Parlements et leurs citoyens des positions qu'ils prennent dans ces enceintes. Des milliers de syndicats, associations et autres mouvements populaires qui, chacun dans son pays, sa province, sa ville ou sa campagne, menaient des luttes qu'ils croyaient isolées, ont pris conscience qu'ensemble ils constituaient un archipel planétaire des résistances à la mondialisation néolibérale. Ils ont commencé à se connaître, ils échangent régulièrement des informations, ils se rejoignent dans des actions communes ou convergentes, et ils ont vocation à devenir un contre-pouvoir citoyen international. C'est ce mouvement que la proposition d'un Forum Social Mondial entend prolonger. Le tiers-monde et les pauvres et exclus des pays développés subissent de plein fouet les ravages de la mondialisation néolibérale et de la dictature des marchés, conduites sous l'égide du FMI, de la Banque mondiale, de l'OMC et des gouvernements à leur dévotion. Le Brésil est l'un des grands pays victimes de cette situation. Mais de fortes résistances à cet ordre inhumain s'y développent, aussi bien dans les villes que dans les campagnes, dans les lycées et universités que dans les favelas. Les organisations populaires y disposent déjà de solides points d'appui dans plusieurs Etats et dans de nombreuses municipalités. Cette riche expérience de combats populaires a également contribué à la proposition de réaliser le Forum Social Mondial. Le comité brésilien d'organisation du FSM* invite tous les réseaux internationaux d'ONG, de syndicats, d'associations et de groupes de citoyens qui partagent ses objectifs à se joindre à cette initiative en constituant un Comité international du Forum Social Mondial. Le comité brésilien d'organisation du FSM attend de tous les représentants de ces réseaux des Amériques, d'Afrique, d'Asie et d'Europe qu'ils contribuent de manière décisive à la réussite de cet événement. Il appelle également tous ceux qui disposent d'un mandat électif et qui se sont engagés aux côtés des combats populaires dans tous les continents à se retrouver également à Porto Alegre en janvier prochain. Partout dans le monde, les potentialités de l'intervention populaire s'expriment aujourd'hui aussi bien dans les formes de la démocratie participative que dans celles de la démocratie représentative. Lieu de débats ouverts, de présentation d'expériences, de coordination de combats futurs, le Forum Social Mondial sera un jalon de plus vers la naissance d'une citoyenneté planétaire s'enracinant dans les luttes sociales locales et nationales. Un autre monde est possible. Nous allons le construire ensemble. Renseignements : fsm2001@uol.com.br * ABONG (Association brésilienne des organisations non gouvernementales) ; ATTAC Brésil ; CBJP (Commission brésilienne Justice et paix) ; CIVES (Association brésilienne des entrepreneurs pour la citoyenneté) ; CUT (Centrale unique des travailleurs) ; IBASE (Institut brésilien d'analyses sociales et économiques) ; Centro de Justiça global ; MST (Mouvement des travailleurs ruraux sans terre) |