Assemblée Mondiale Misma página en español Same page in English Participer Calendrier Alliance Accueil Alliance Actualités Alliance Propositions Documents Alliance Contacts Réseaux socioprofessionnels Groupes Géoculturels Chantiers Thématiques Rencontres Continentales
logo globe     Caravane: Lettre de Liaison de l'Alliance pour un monde responsable et solidaire
Numéro 8 Juin 2001

Sommaire
bulletPoésie
bulletVoyage au Kenya
bulletEditorial
bulletLes cahiers de propositions
bulletVers une Charte
bulletLes artistes
bulletCULTURE DE PAIX
 · Globalisons la paix !
 · Des chaussures abandonnées
 · Ecole de la Paix
 · Réseau pour la Paix
 · Les jeunes
 · L'unique lutte abandonné
 · Afghanistan
 · la Palestine
 · la refondation africaine
 · Grands Lacs (Rwanda)
 · Grands Lacs (Congo)
 · Juan Carrero Saralegui
bulletNouvelles
bulletLes artistes de Ngecha
bulletL'Equipe
whitespace
bulletREJOIGNEZ CARAVANE
bulletRevenir aux DOCUMENTS DE L'ALLIANCE

Promouvoir une culture de la paix

Des chaussures abandonnées*

Des chaussures abandonnées. C'est toujours ce qui reste après le passage d'une émeute. Et des fois des trous dans les murs, des guirlandes de rafales, ça dépend où on est. Et ces pieds maintenant nus, est ce qu'ils courent toujours, et où ? Est ce qu'ils s'en sont seulement aperçu dans la fuite, qu'ils ont perdu leurs chaussures, ces pieds ? Est ce qu'ils n'ont pas perdu leur corps aussi ?

De toute façon, la rue est vide maintenant, il ne reste plus que ces chaussures piétinées, vestige d'une lutte qu'il faudra bien expliquer dans l'article qui accompagne l'image.

Elle prend la photo, c'est ça l'urgence : la faxer pour le tirage de demain. Elle ramène les chaussures dans son boîtier, avec toutes ses questions sur les pieds, le silence aussi est dans l'appareil ; elle écrira l'article de l'hôtel.

Dans sa chambre, la télé lui crache à la figure les images de la foule en mouvement. Elle a un peu de mal à distinguer les partisans de chaque camp, ils se ressemblent tellement. Et de toute façon, elle ne comprend pas vraiment pourquoi ils luttent, puisqu'ils veulent tous la même chose : la liberté, être chez eux, être heureux probablement. Elle aussi c'est ce qu'elle veut, c'est ce que tout le monde veut dans son pays. Ils n'en meurent pas pour autant...

Elle scrute l'image, oublie le commentateur un instant pour trouver les chaussures dans la foule. Si seulement elle pouvait mettre un visage sur ces pieds, ils arrêteraient de l'obséder. Mais déjà, la foule crie, court, tombe, et la poussière couvre les pieds. La seule chose qu'elle a eu le temps de voir, c'est qu'ils étaient vivant ces pieds. Mais jusqu'à quand ? Surtout maintenant qu'ils ont fuit loin de leurs chaussures.

Elle écrit son article, descriptif de la violence ambiante qui règne ici ; il ressemblera à celui d'hier, tant pis.

L'avion décolle. Dans quelques heures, il rencontrera enfin les protagonistes de ce combat qui s'étale dans les journaux depuis des semaines. Il essaie d'oublier l'image qui le hante depuis la veille, les chaussures en première page. Il ouvre le journal machinalement, aujourd'hui, ce sont des pieds nus qui illustrent l'article. Toute une colonne de pieds nus et sales, fatigués par la marche, mais ceux de qui ? La journaliste n'a pas jugé bon de les nommer, ces pieds ; et il est d'accord avec elle. Qu'importe à qui ils sont, ils ne devraient pas être sans chaussures, loin de chez eux.

Il garde l'article dans sa poche, peut être qu'il le montrera à ces gens qu'il va rencontrer tout à l'heure, et qu'il leur demandera s'ils reconnaissent les pieds des leurs. Ils sont tous pareil, ces pieds, la même couleur, la même forme, la même envie d'arrêter de marcher. Dans un espoir, il aimerait que ces gens tombent d'accord pour dire que l'urgence, c'est que les pieds retrouvent leurs chaussures, et surtout, qu'ils arrêtent de les perdre !

Sa mallette est lourde, pendue au bout de son bras. Dedans, il y a toutes les volontés de ces peuples qui ne s'écoutaient plus. Il y a aussi des exigences irréalisables et des contradictions. Il y a aussi une amorce de paix, celle qu'il doit préparer dans le Traité.

Elle s'assoit en face de lui dans la salle d'attente de l'aéroport. Elle a vu son visage dans la télé de sa chambre d'hôtel, encadré par les sourires tendus de ces hommes qui volent les chaussures aux pieds des gens. Son cour bat en regardant la mallette, et dans son ventre elle sait qu'un tout petit cour bat aussi. Tout ce qu'elle espère, c'est que le tout petit cour grandira dans un monde où les chaussures ne meurent pas dans la poussière des rues.

Béatrice Coletti (France)


* Ce texte est l'ouvre d'une étudiante de troisième cycle de la formation Humanitaire et Solidarité de l'Université Lyon-2. Il a été écrit en réponse à la question « Comment penser la paix ? » posée à l'examen du cours « Promouvoir une culture de paix » assuré par l'Ecole de la Paix de Grenoble dans le cadre de la mise en place d'une Chaire UNESCO. L'objectif de ce cycle était de donner aux étudiants, acteurs actuels et futurs des organisations humanitaires, des outils pédagogiques et des connaissances touchant aux différentes dimensions de la culture de la paix.

block print
« Lost shoes », Wakin

Remonter

 

© 2001 Alliance pour un monde responsable, pluriel et solidaire. Tous droits réservés.
Mis à jour le