Numéro 2 | Décembre 1998 | |||
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KANPUR 2001 Connue autrefois comme la Manchester de l'Inde - une ville très industrialisée, Kanpur est désormais 'réputé' pour être un foyer de tuberculose : ville puante, pourrissante et mourante. Située au bord du Gange, la ville dépend du fleuve pour la plupart de ses besoins. En 1988, une étude environnementale reconnaît que la portion du Gange traversant Kanpur est extrêmement polluée par les déchets des industries chimiques et des tanneries et les cadavres. Plusieurs projets sont alors initiés sous l'égide du Ganga Action Plan (GAP) pour dépolluer le fleuve et restaurer la qualité de l'eau. Mais la situation depuis a empiré : le fleuve n'est pas seulement en phase d'être biologiquement 'mort' (sans vie aquatique), il est aussi la cause de nombreux problèmes graves de santé pour l'ensemble de la population, en particulier les couches pauvres. En 1993, Rakesh K. Jaiswal, un jeune chercheur qui poursuivait ses études doctorales en politique de l'environnement constate un jour qu'un liquide noir, visqueux et puant sort de son robinet. Loin d'être un exemple unique, ce phénomène se reproduit à plusieurs reprises dans les semaines qui suivent non seulement chez lui mais aussi dans tout le quartier et bientôt dans plusieurs parties de la ville. Certaines familles cessent de se servir de l'eau de la municipalité et installent leur propre système d'approvisionnement puisant directement dans la nappe phréatique à l'aide de pompes ; un luxe que ne peuvent se permettre les familles des milieux modestes contraintes d'aller chercher l'eau à des puits communautaires généralement pris d'assaut. Horrifié par la situation, Rakesh décide de mener une enquête qui révèlera des faits alarmants dépassant l'entendement :
Cet état de fait n'est pas limité à Kanpur, même si la situation y est peut être plus sérieuse qu'ailleurs. Tout au long des plaines fertiles du Gange régulièrement inondées pendant la mousson et aux abords de la centaine de villes qui bordent le fleuve, des problèmes identiques se retrouvent. Ainsi, la vie aquatique du fleuve est menacée, plusieurs espèces sont en voie de disparition, en particulier le fameux dauphin du Gange. Un grand nombre de gens vivent sur les rives, tels que les pêcheurs, les blanchisseurs, les loueurs de canots, la communauté des Doms chargée des rites funéraires (Voir encadré page suivante). Tous souffrent à cause de la pollution du fleuve : il n'y a presque plus de poissons ou ceux qui restent sont devenus non-comestibles ; l'odeur et l'ambiance répulsives empêchent les gens de se déplacer en canot et les bâteliers se retrouvent sans leur gagne-pain ; les blanchisseurs ne trouvent plus d'endroits où laver les vêtements et leur contact avec l'eau du fleuve s'avère dangereux pour leur santé. Il est temps d'agir !
La réaction des gens est énorme. Des milliers d'écoliers, de citoyens, de militaires, les médias et les communautés qui dépendent directement du fleuve pour leur gagne-pain revendiquent leur droit constitutionnel à avoir un environnement sain et propre face aux autorités insensibles. En juin 97, Rakesh choque la ville en repêchant avec l'aide de la communauté Dom 180 cadavres dont 20 carcasses d'animaux, au long de six kilomètres du fleuve. Pour la plupart, ces cadavres étaient des cadavres non-réclamés ou ceux qui avaient subi une autopsie, jetés dans le fleuve par la police. Il y avait aussi des cadavres d'enfants, de célibataires, de gens qui sont morts suite à une maladie ou à des morsures de serpents, car selon la tradition on ne brûle pas ces cadavres. Malgré un début d'action de la part des autorités, il paraît vite évident qu'il n'y a de leur part guère de volonté ni de détermination. Les circonstances amènent Rakesh à présenter une requête en justice au Tribunal de Grande Instance d'Allahabad en juillet 97. Cette requête transforme la campagne contre la pollution du Gange en un litige d'intérêt public, une procédure qui permet à un individu ou à une organisation de représenter un groupe de gens démunis.1 Cette action en justice fait face à la bureaucratie de dix ministères. Des pressions tentent d'égarer le tribunal avec de faux faits et chiffres. Après une bataille légale acharnée, le tribunal ordonne finalement que le Ganga Action Plan - Phase II (GAP - II ) soit réexaminé, et qu'une enquête évalue la qualité du travail effectué et les sommes dépensées lors de GAP- I. L'Alliance pour un Kanpur responsable et solidaire J'ai rencontré Rakesh en mai de cette année. Il m'est apparu résolu et tenace. Pendant cinq ans, il avait mené tout seul un mouvement populaire. Il avait passé des moments difficiles et s'était heurté à la résistance d'intérêts puissants. Il était évident qu'il se sentait seul. Il avait l'air fatigué, affaibli, à cause du climat d'hostilité et de la pollution à Kanpur. J'ai compris qu'il avait besoin d'amis et de soutien et je l'ai forcé à accepter l'invitation pour le Chantier Jeunes que l'Alliance organisait à Manali, Inde. Une semaine après, il se retrouvait avec de jeunes allié(e)s venus de tous les coins du monde dans le climat salubre de l'Himalaya au bord d'une rivière étincelante et pure. Inspiré par l'esprit de cette rencontre, renforcé dans son action locale par sa relation avec ce mouvement mondial, Rakesh décide à son retour de lancer une Alliance pour un Kanpur Responsable et Solidaire. A partir d'un sondage destiné à identifier les cinq problèmes urbains les plus graves de la ville, il conçoit en septembre 1998 le projet 'Kanpur 2001' visant à formuler une vision concrète pour le nouveau millénaire pour Kanpur. Plus de 4000 familles ont participé à ce sondage et 53% des participants ont exprimé leur désir de devenir des partenaires actifs de l'Alliance pour améliorer leur ville. Muni du mandat et du soutien des gens, Rakesh a récemment lancé une série d'activités et de campagnes à travers son réseau d'écoles car il a une grande confiance dans l'énergie, la force et l'enthousiasme des jeunes. " Les problèmes sont nouveaux et nous avons besoin de nouveaux responsables. Il nous faut remplacer les autorités actuelles si nous voulons vivre dans un monde meilleur ", confie Rakesh.
1 Dans le cadre d'une autre procédure judiciaire engagé par Rakesh Jaiswal, le tribunal ordonnera la fermeture de 117 tanneries jusqu'à ce que celles-ci s'équipent de matériel de traitement de leurs effluents. |