Numéro 4 | Octobre 1999 | ||
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Artiste Invité : Fil après fil, la trame blanche devient tapis. Les doigts fébriles nouent et renouent la couverture veloutée aux tendres coloris vers des symboles séculaires. Déjà enfant, ses mains se mêlaient à ceux d'une mère attentive qui dessine le terroir d'un tissage pour les nuits d'hiver. La vie de Mohamed Guesmia est ainsi tramée de sensibilité en tendresse. Ses mains, comme pour continuer un rituel familial, étalent sur les feuilles des tons pastel, à fleur de peau. Tout semble flotter dans ses peintures, des personnages aux anatomies libérées, bribes de corps dont les formes sensuelles invitent aux caresses. Le monde de Gues est presque irréel, parallèle au quotidien. On a l'impression que les réalités algériennes ne l'intéressent pas. Pourtant ses conditions de vie et de travail sont pénibles. Il vit presque au jour le jour, en artiste " free-lance " comme il se qualifie volontiers. Avec force et intuitivité, il transforme les contraintes sociales pour les rendre vaporeuses, dénudées et saisir l'aura qui se dégage des formes errantes qui déambulent dans les rues mal entretenues, là où dorment quelquefois des bambins, des mendiants improvisés par la crise économique. Diplômé de l'Ecole Nationale des Beaux-Arts d'Alger en 1982, Gues se souvient encore du jour de son examen à l'école lorsqu'il est allé prendre un café et écrire une lettre chaleureuse à un ami au lieu d'aller composer sous les regards d'un quelconque surveillant. Cette révolte contre l'institution et contre les influences des écoles plastiques, il l'avait retrouvée bien plus tard en devenant l'instituteur d'un groupe d'enfant de la Casbah aux ateliers de dessin du Musée National des Arts et Traditions Populaires d'Alger. La liberté et le respect des enfants ont abouti à une exposition de monotypes. Pour survivre à son statut d'artiste, il entreprend des " bricolages " pour subvenir à des besoins matériels. L'ambiance du Musée où il occupait le poste de décorateur et d'instituteur, devenant trop " humide ", la médiocrité gagnant de jour en jour des terrains difficilement acquis, il quitta le confort des fins de mois sponsorisées par l'Etat pour les ateliers de céramique, réorganisant les valeurs esthétiques des producteurs d'alors, il créa des pièces uniques. Retrouvant son envol blanc, il se remet à peindre dans l'atelier de son père (créateur lui aussi de motifs traditionnels), un atelier qui ne mesure guère qu'un mètre de large sur deux mètres de long. Son regard se retourne parfois avec nostalgie vers les années Beaux-Arts où en compagnie de ses amis, il partageait le quotidien en tranches de poésie. L'exposition intime orchestrée par la musique de Sinatra en 1983, l'expérience de la placette de Blida et de l'espace ouvert de l'exposition El-Wassit à Riadh El Feth en 1986, son atelier au Musée National des Arts et Traditions Populaires en 1988, sont autant de repères pour cet artiste peintre, céramiste, bédéiste, aménageur d'exposition qui pratique son métier d'artiste avec honnêteté et sans aucune prétention. En 1996, il participe à la performance intitulée " Dérives " de l'artiste peintre algérien Omar Meziani réalisé dans les dunes de Youfa hakit au sud de Tamanrasset, performance qui a fait l'objet d'un documentaire réalisé par Hamid Kechad. En 1998, il reprend son travail avec les enfants en montant un atelier d'expression graphique. Cette fois-ci, ses élèves sont des " enfants victimes du terrorisme ". Cette performance sera suivie par sa participation à la réalisation d'un long métrage intitulé " dessine-moi une orange ". Quel silence porte-t-il et quelle quête poursuit-il ? Pour Gues, la peinture entraîne un discours personnel, à chacun de voir ce qu'il a besoin de voir. Etre vrai avec soi-même est une des bases sacrées pour ses voyages picturaux. (adapté d'un texte de Omar Meziani paru dans Algérie actualités) Peinture à l'huile, Sans titre, Gues, 1999 Le caravanier mourant refuse à présent de garder tout élément de l'histoire. |