Numéro 4 | Octobre 1999 | ||
Sommaire |
Editorial À Nadia-Leïla Aïssaoui Cher Gues, Comme il est beau ce numéro ! Tu as fait un travail remarquable et ce fut un plaisir immense de travailler avec toi à l'illustration de cette quatrième livraison de Caravane. Ton génie s'impose à chaque page et nous ravit. Et que dire de cette ouvre maîtresse réalisée pour la couverture ! C'est toute l'Algérie - son passé torturé, son présent volontaire et son avenir responsable et solidaire - qui s'y trouve résumée. C'est un message puissant mêlant bonté et beauté que tu nous envoies. Avant même l'impression de ce numéro, nous l'avons reproduite sur des posters, tee-shirts et cartes postales, qui, n'en doute pas, vont faire fureur l'été prochain dans les rues de Barcelone et d'ailleurs. Nous te devons des excuses pour le retard avec lequel nous livrons ce numéro - ton numéro - de Caravane, mais nos raisons sont bonnes et amplement justifiées. D'abord, nous avons du modifier la maquette, nous libérer sur tes conseils de la contrainte des colonnes symétriques dans lesquels nous placions auparavant les illustrations intérieures, pour faire entière justice à tes oeuvres. Ensuite, tu sais déjà que mon retour en Europe, après plus de trois années passées en Inde, deux ans en Corée et un an en Malaisie, n'a pas été sans difficultés. Il a fallu se réadapter à cette culture que j'avais presque oubliée. La rédaction de Caravane est donc désormais installée à Barcelone (Catalogne, Espagne) même si son équipe reste bien entendu décentralisée et l'impression demeure à Dehra Dun. Impossible de trouver en Europe ce papier artisanal et écologique si agréable au toucher, ni un imprimeur si compétent et dévoué. En cela, l'Inde est indépassable. Autre raison pour notre retard, nous attendions avec impatience les conclusions de la première réunion de la nouvelle Equipe Internationale de Facilitation de l'Alliance qui s'est tenue à Barcelone du 12 au 17 septembre (voir le compte-rendu). Caravane s'y trouvait. Belle réunion en vérité d'une équipe formidable dont l'un des caractères premiers m'a paru être l'humilité. L'Alliance y a fait un pas de géant, s'organisant d'une manière plus claire tout en évitant de tomber dans les travers d'une structuration trop formalisée, reconnaissant et assumant pleinement son caractère décentralisé et sa diversité, s'ouvrant largement conformément à sa vocation aux autres dynamiques citoyennes leur offrant un espace pour échanger et se renforcer, etc. En un mot, voici une équipe ouverte et volontaire qui donne à l'Alliance un visage des plus accueillants. Nous ne pouvons qu'encourager tous les allié(e)s à participer avec elle au programme qu'elle propose pour les deux années à venir et qui devrait culminer au moment du solstice du 21 juin 2001. Quelle sera la place de Caravane dans cette nouvelle étape essentielle de l'Alliance ? Nous continuerons sur notre lancée, plus motivés encore et mieux organisés. Au moment où nous célébrons notre premier anniversaire, nous débordons d'enthousiasme et de projets que je veux partager avec toi. Mais laisse-moi au préalable te confier quelques aspects de la 'philosophie' de Caravane. Son point de départ est une idée vieille comme le monde : le voyage est un plaisir et la rencontre de l'autre est un bonheur à condition de l'aborder sans préjugés. Nous espérons faire découvrir de nouveaux horizons où nous pouvons nous enrichir mutuellement. Caravane est le fruit d'une vision de l'Alliance considérée comme un réseau d'une incroyable richesse qu'il s'agit de dévoiler en se rendant sur place et en donnant la parole à tous ces allié(e)s porteurs d'idées et d'expériences transformatrices ; ceci, sans nous limiter aux voix des 'experts', adeptes souvent brillants du verbe, mais parfois déconnectés de leurs propres réalités et enfermés dans leur système de pensée. En quatre étapes de la Caravane, nous avons offert à plus de 150 allié(e)s répartis dans plus de 60 pays la possibilité de partager leurs points de vue et de présenter leurs initiatives avec leurs propres mots. Cela a été possible grâce au travail collectif de l'équipe tout entière. En particulier, ce numéro préparé depuis l'Algérie doit beaucoup à Mira Chalal, correspondante de Caravane pour le Maghreb, qui a su débrouiller auprès des allié(e)s locaux des articles émouvants et précieux qui annoncent une Algérie retrouvant enfin le chemin de la paix et sa légitime fierté (voir Oasis de l'Alliance). De même, à travers ses deux dossiers, l'un, passionnant, sur le projet de rédaction d'une Charte de la Terre (voir les articles) et l'autre, excellent, sur la situation tout à fait inquiétante des ressources halieutiques et les combats des pêcheurs artisanaux (préparé par Sophie Nick, voir Mer & Pêcheurs), Caravane poursuit sa mission et confirme sa raison d'être en étant ce forum où se déroule un dialogue interculturel sur les enjeux primordiaux du XXIème siècle. Enfin, Caravane ne serait rien sans la place centrale accordée à l'art. Les textes qui y sont reproduits s'oublieraient vite sur les rayonnages poussiéreux des bibliothèques s'ils n'étaient merveilleusement illustrés par un artiste invité du pays visité à chaque numéro. Ce choix procède d'une idée supérieure que j'hésite à livrer ici de peur d'en diminuer la puissance et la magie, de même que tout pouvoir trop sûr de lui-même ne tarde pas à se perdre. L'évêque philippin Labayen nous avait mis sur la piste en citant le philosophe Carl Jung pour qui l'imagerie symbolique est le premier langage de la psyché. (Caravane n°2). Ecoutons aussi l'artiste kenyan John Kariru (Caravane n°3), s'inspirant de Rodiek, nous dire pourquoi l'art est aussi essentiel, quand, redevenant partie intégrale de la vie des gens, il aide à restaurer l'harmonie perdue entre la nature humaine et l'esprit et à s'élever contre le déterminisme et le rationalisme de la civilisation moderne. Lisons ou relisons, comme nous y invite la revue Mbiu d'Amani People's Theater (Caravane n°2), le poète ougandais Okot p'Bitek qui, quelques jours avant sa mort en 1982, publiait un essai au titre provocateur - 'Artist the Ruler' - où il révèle ce que peut-être il faudrait taire : " L'artiste proclame les lois [de la société] mais les exprime dans le langage le plus indirect qui soit : à travers des métaphores et des symboles, des images et des fables. L'artiste chante et danse les lois. ". Ce sont les artistes accomplis qui fabriquent et préservent les repères et les idées qui modèlent la vie des gens en société. Ils forment la conscience de leur temps en "répondant intuitivement et profondément à ce qui arrive, à ce qui est arrivé et à ce qui arrivera ". Bref, ce sont les vrais détenteurs du pouvoir dans leurs sociétés. Il est grand temps de rendre à l'art sa vocation primordiale de précurseur du changement social, de laisser vivre et créer les vrais artistes que nos sociétés dans leur médiocrité s'ingénient à étouffer, de réintégrer l'art dans nos villes et dans nos villes... Ainsi, Caravane souhaite offrir une alternative à la 'production culturelle envahissante, violente, sexiste et consumériste' qui monopolise la plupart des médias du monde entier. Mais me voilà déjà au bout de la place qui m'était accordée pour cet éditorial sans t'avoir parlé encore de nos projets futurs. Tant pis. Nous en parlerons une prochaine fois. Rien ne presse pour qui sait où il va. Sache seulement que nous préparons une surprise : un mot clé de l'aventure Caravane ! Nous adorons nous dépasser et par-là même vous surprendre. A très bientôt. Embrasse Mira pour moi. Philippe Guirlet |