Numéro 2 | Décembre 1998 | ||
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Mondialisation et Alliance des Peuples Pour un Traité des Peuples sur l'Investissement Le monde est en crise, mais les investissements financiers ne se sont jamais mieux portés qu'au cours des deux dernières décennies. C'est le constat qu'on peut tirer des chiffres officiels : selon la Banque des Règlements Internationaux, ils ont plus que doublés depuis le début de la décennie pour dépasser les vingt mille milliards de dollars. Ces investissements sont concentrés dans les pays industriels, et dépasse déjà tous leurs PNBs réunis. Cependant la simple fluidité des mouvements financiers peut avoir des effets dramatiques sur les pays du Sud, par l'ampleur des mouvements en jeu. Le constat est similaire pour les investissements directs à l'étranger, correspondant aux activités produisant des biens et des services : accélération des mouvements et concentration par quelques firmes sur un nombre limité de pays. On constate qu'aucune force ne limite pour l'instant la rapidité et l'ampleur de ces mouvements, qui ont bénéficié depuis les années 70 de mesures de libéralisation inédites. Le nouveau manifeste du capitalisme mondial négocié en secret Dans ces conditions est-il nécessaire de libéraliser davantage le mouvement des capitaux, et d'assurer aux investisseurs une protection totale pour leurs investissements, au sens large ? Depuis mai 1995, un Accord Multilatéral sur l'Investissement (AMI) se proposant ces objectifs est négocié dans la plus grande discrétion à l'OCDE, le club des nations les plus riches de la planète. La signature de cet accord entraînerait une remise en cause fondamentale de la souveraineté des Etats et donnerait aux investisseurs des droits quasi équivalents ou supérieurs à ceux des gouvernements. Au nom de la " non discrimination " et de la " clause de traitement national ", un Etat signataire de l'accord ne pourrait plus suivre une politique visant par exemple à protéger les entreprises nationales, ou bien les droits des salariés. Les principes de la justice sociale, la protection de l'environnement ou le droit des usagers (dans le cas d'entreprises mixtes) apparaîtraient comme de simples prétexte pour éviter une ouverture des marchés érigée en dogme, et un investisseur réel ou même potentiel pourrait réagir à ce traitement 'inégal' en contraignant un Etat à un arbitrage international, pour lequel seules les clauses du traité sauraient être évoquées. Des réseaux citoyens se sont développés, principalement dans les pays du Nord, pour faire connaître cet accord confidentiel et ses implications. Grâce à une mobilisation efficace et aux réticences rencontrées, sa signature à l'OCDE a été retardée. Les conseils municipaux de plusieurs grandes villes du monde ont adopté des résolutions anti-AMI : San Francisco et Berkeley (USA), Toronto et Vancouver (Canada), Genève (Suisse), Tokyo (Japon), et bien d'autres, ainsi que le Parlement Européen (résolution du 11 mars 1998). Tel Dracula, l'AMI a du mal à résister à la lumière du jour, celle de l'opinion publique. A la mi-octobre, la France s'est retiré des débats à l'OCDE. Mais l'accord pourrait être présenté devant l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC). L'objectif des lobbies poussant à sa signature est en effet son adoption non seulement par les pays riches, mais aussi par ceux en développement. Il s'agit en quelque sorte d'un chantage : pour recevoir des investissements extérieurs ceux-ci devraient s'engager sur un traité dont les termes sont déjà écrits. Pour les observateurs les plus avisés, l'AMI apparaît comme " le nouveau manifeste du capitalisme mondial " (L. Wallach) ou " la Charte des multinationales " (T. Clarke). Il ne s'agit pas de nier l'intérêt d'un traité sur les investissements, mais bien la prétention de celui-ci à s'ériger au dessus des lois internationales et des conventions internationales. Un traité équitable permettrait de limiter les opérations spéculatives et de définir les droits et les devoirs des investisseurs. C'est ainsi que les opposants à l'AMI élaborent des propositions alternatives. Tony Clarke de l'Institut Polaris (Canada) propose " une approche alternative pour le développement d'un traité d'investissement global basé sur les droits des citoyens et le contrôle démocratique ". Susan George élabore en consultation avec un collectif français contre l'AMI un " Accord des Citoyens et des Peuples sur l'Investissement et les Richesses " basé sur un état des lieux détaillé de la situation de l'investissement au niveau mondial suivi de propositions et de recommandations. Le texte de cet accord circule en Europe et dans les pays anglo-saxons. Un autre canadien, Joan Russow, leader du parti vert, a rédigé un " Traité des Citoyens pour l'Engagement des Etats et des Entreprises " basé sur les normes les plus élevées du droit national. La participation des citoyens à l'élaboration d'un éventuel traité apparaît de plus en plus nécessaire. Tous affirment la nécessité d'un débat au grand jour, et montrent qu'il faut baser celui-ci sur les conventions adoptées aux Nations Unies, notamment la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, la Charte des Droits et des Devoirs Economiques des Etats des Nations Unies, le Droit du Travail, la Convention de Rio de Janeiro, etc. Pour l'instauration d'une taxe sur les mouvements financiers La régulation des marchés financiers demandera cependant aussi des mesures plus techniques. De plus en plus de voix s'élèvent pour l'instauration d'une taxe sur les mouvements financiers, ou taxe Tobin. Fixée à un taux de 0,1% elle pourrait dégager trente milliards de dollars par an, lesquels pourraient alimenter des fonds sociaux destinés aux classes ou aux nations les plus pauvres. D'autres mesures sont envisageables : taxes sur les bénéfices, taxes sur les investissements directes à l'étranger, écotaxes, dépôts obligatoires. Ces solutions supposent toutes de reconnaître le droit des peuples et de leurs gouvernants à déterminer leur propre politique économique, sociale et environnementale, donc de rejeter l'intégrisme néo-libéral des institutions financières internationales. Une large et transparente discussion est nécessaire entre la société civile, les gouvernements, et les acteurs économiques pour aboutir à un processus permettant de faire atterrir la bulle financière et enfin mettre l'économie mondiale au service de l'homme. Le cinquantième anniversaire de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme sera l'occasion de rappeler que les droits de la personne, du travail, des enfants, des minorités, des indigènes, de l'environnement sont aussi fondamentaux, sinon plus, que ceux des investisseurs. En ce sens les allié(e)s peuvent s'associer à la discussion en cours dans les réseaux citoyens qui débattent d'un traité sur l'investissement s'appuyant sur les droits fondamentaux de l'homme et sur les droits et devoirs des Etats et des entreprises. P.J.
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