Numéro 3 | Mai 1999 | ||
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Editorial Au moment où s'écrit cet éditorial, personne dans Dehra Dun ne peut plus ignorer la rumeur qui s'est emparée de la ville depuis une quinzaine de jours à la suite d'un tremblement de terre qui a secoué la région de Garhwal au pied de laquelle nous nous trouvons. La rumeur annonce "la fin du monde pour demain, 8 mai 1999, jour où une faille gigantesque est censée s'ouvrir et anéantir la planète". Les rumeurs ont parfois du bon. Celle-ci nous a encouragés à travailler d'arrache-pied pour terminer ce numéro avant l'apocalypse annoncée. Nous aurions été bien peinés de ne pas vous envoyer cette troisième livraison de Caravane préparée par Sarfaraz Khan, Michael O'Chieng et moi-même depuis le Kenya. Car nous en rapportons une bonne nouvelle : l'ouvre réalisée bénévolement pour Caravane par l'artiste kenyan, John Kariru, nous montre que dans le chaos actuel d'un monde qui s'effondre, il se trouve des hommes et des femmes de bonne volonté pour reconstruire un monde plus responsable et solidaire. Malgré les destructions, les guerres, la perte des identités culturelles, le changement climatique, etc., un avenir digne est en germe dans cette poussée irrésistible de multiples volontés sur les cinq continents. Il ne peut en être autrement. Cela a trop duré. Il n'est plus acceptable que les super puissances utilisent les foyers de tension de la planète pour tester à distance leurs engins de mort avec les conséquences dramatiques que l'on connaît, pendant que les jeunes de ces pays, suivant l'exemple de leurs ainés, se perdent dans la violence. Il n'est plus acceptable que les 256 individus les plus riches du monde détiennent à eux seuls une fortune équivalente au revenu annuel de 2,5 milliards d'êtres humains1, de même qu'il est intolérable que restent aux commandes dans de si nombreux pays des pouvoirs corrompus qui compromettent le futur de leur peuple pour des générations. Peut-on accepter plus longtemps que les pays en développement restent sous le joug de la dette et soient exposés si douloureusement à l'instabilité financière les privant de fait des fonds nécessaires à la satisfaction de leurs besoins sanitaires et nutritionnels (15 milliards d'Euros, soit la consommation annuelle de parfums dans les pays occidentaux2), tandis qu'une poignée de multinationales animées par la seule logique financière s'approprient les meilleurs sites touristiques, les ressources génétiques, les réseaux de communication et la quasi-totalité des médias de la planète au prix d'une aliénation des populations locales, des travailleurs, des consommateurs et des citoyens et dans le mépris des libertés humaines ? La marmite est trop pleine. Ainsi le perçoivent de jeunes artistes kenyans avec qui nous avons eu le bonheur de passer deux jours aux abords de Nairobi. Notre rencontre, inoubliable, s'est soldée par un tableau collectif intitulé "A Pot on Fire", que nous sommes heureux de joindre sous forme de poster à ce numéro. Au Kenya, nous avons visité avec émotion la Rift Valley, où pour la première fois, l'être humain s'est levé ; et c'est l'image d'une Afrique debout en dépit des conditions adverses que nous avons ramenée avec nous :
Diversité est le mot clé des deux dossiers sur la biodiversité et le dialogue interculturel préparés pour ce numéro de Caravane respectivement par Carine Pionetti et Agusti Nicolau Coll. Un message commun s'en dégage : la diversité biologique et culturelle primordiale pour la survie de l'humanité ne pourra être préservée que lorsque l'Occident cessera de vouloir imposer ses pratiques et ses vues au reste du monde - and its essential corollary without which this denunciation would be hollow - que les autres peuples de la Terre sortent d'une infériorité supposée et d'un rapport de fascination vis-à-vis de l'Occident et s'affirment pour prendre part à l'édification d'une civilisation planétaire3. Nous y sommes. Il est temps que nous disions, haut et fort, partout où nous sommes, ce que nous croyons souhaitable et ce qui n'est plus acceptable. Philippe Guirlet 1 Rapport sur le Développement Humain, PNUD, 1998. 2 Chiffre cité par Pascal Boniface, Le Monde Diplomatique, Février , 1999, p. 2. 3 Le grand historien sénégalais Cheikh Anta Diop écrivait en 1967, dans Antériorité des Civilisations nègres - Mythes ou vérité historique ?, que " la plénitude culturelle ne peut que rendre un peuple plus apte à contribuer au progrès général de l'humanité et à se rapprocher des autres peuples en connaissance de cause " et il appelait de ses voeux l'avènement de l'ère qui verrait toutes les nations du monde se donner la main " pour bâtir la civilisation planétaire au lieu de sombrer dans la barbarie " (Civilisation ou barbarie, 1981) |