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Résumé
: Le défi le plus important d'un Parlement Mondial est de
pouvoir fonctionner à partir d’un processus vraiment
démocratique. La représentation et la participation
directe semblent être les deux options dont il faut tenir
compte. Cependant, toutes deux sont peu satisfaisantes. La représentation,
parce qu'elle mène à des comportements et des processus
antidémocratiques, la participation directe parce qu'elle
ne peut pas être utilisée à une échelle
mondiale avec tant de décisions à prendre. Entre les
solutions possibles à ce dilemme, il y a l'idée que
les élus d'un Parlement Mondial soient choisis plutôt
pour faire une tâche que pour occuper un poste ; que des communautés
d'idées soient instituées comme fondation d'un Parlement
Mondial, et qu'une forme améliorée de la démocratie,
la sociocratie, soit instituée. La participation croissante
des femmes dans la gouvernance aurait-elle un impact positif ? Si
elle apporte un plus grand équilibre dans la prise de décision
et la résolution des problèmes, alors un Parlement
Mondial devrait institutionnaliser la parité homme-femme.
Pendant le mois de février 2003 nous avons
assisté à une escalade progressive de la probabilité
d’une guerre contre l’Irak. Bien que les hostilités
n'ont pas encore débuté au moment où nous écrivons
ces lignes, la guerre paraît certaine, même avant que
le vote crucial de l'Onu ait eu lieu. Ce n'est pas surprenant que
la discussion sur les compétences et tâches d'un Parlement
Mondial ait souvent été marquée par la question
de la guerre contre l’Irak qui fait, en général,
que l’on voie la création d'un Parlement Mondial comme
encore plus nécessaire et urgente. Bien qu'il y ait eu ce
mois-ci beaucoup de messages qui ont traité presque exclusivement
du problème de l'Irak, nous voulons néanmoins ici
nous concentrer sur le thème du mois.
Nous avons mis les questions sur la
table, mais n’avons pas forcément trouvé toutes
les réponses
Les compétences et tâches d'un Parlement
Mondial, sa production de loi et sa mise en oeuvre constituent les
mécanismes et engrenages d'une nouvelle forme de gouvernance
à une échelle mondiale. A partir de cette constatation,
nous voici avec quelques unes des questions qui ont été
mises sur table :
- Avons-nous besoin d'une constitution mondiale ? Le parlement
devrait-il proposer et prévoir le développement
de grands programmes mondiaux afin de résoudre nos problèmes
mondiaux fondamentaux ?
- Quelles seraient les tâches des représentants
dans le développement des programmes et la production de
la loi ? Comment les parlementaires pourraient-ils représenter
des intérêts locaux ou sectoriels et dans quels cas
ne serait-ce pas possible ?
- Quel type de processus de prise de décision faudrait-il
utiliser ? Une majorité simple, une majorité absolue,
un consensus actif, etc. ? Qui devrait approuver les décisions
avant qu'elles ne deviennent loi ? Quels mécanismes pourraient-on
utiliser pour créer des lois ? Comment les commissions
seraient-elles établies ? Comment pourrions- nous créer
des mécanismes de mise en oeuvre ? Qui devrait contrôler
le pouvoir exécutif ? Comment pouvons-nous développer
des moyens ou des sanctions efficaces à mettre en place
avec les nations et les peuples qui ne respectent pas ou n’appliquent
pas les résolutions communes ? Quel rôle pour la
médiation, la résolution de conflits, l'usage de
la force et l'intervention armée ? Etc.
- Comment pourrait-on développer des comportements plus
coopératifs et féminins dans le Parlement Mondial
et promouvoir la convivialité au-delà des événements
symboliques habituels ?
Bien que nous n’ayons pas trouvé des
solutions à toutes ces questions, nous avons abordé
plusieurs d'entre elles. Cependant, une bonne partie du débat
a porté sur la question de la représentation.
La démocratie représentative
est, pour le moins, peu satisfaisante
Le problème fondamental d'un Parlement Mondial,
pour une majorité des participants, est lié à
l'idéal du gouvernement démocratique. Tandis que les
politiciens partout dans le monde défendent les idéaux
de la démocratie, on arrive mal à trouver un seul
gouvernement qui soit vraiment démocratique. Ainsi, si un
Parlement Mondial veut gagner une certaine légitimité,
il doit prendre un (ou plusieurs) pas supplémentaires. Autrement
dit, il faut réaliser ce que tous les gouvernements démocratiques
autoproclamés ont promis mais rarement (et pour certains
on pourrait dire jamais) réalisé : une vraie démocratie.
Bien qu’il s’avère difficile,
voire impossible, de définir une vraie démocratie,
il n'est pas difficile de voir comment les régimes soi-disant
démocratiques échouent et n’arrivent pas à
satisfaire un minimum des attentes. Les élections américaines
défectueuses de 2000, qui ont vu George W. Bush entrer difficilement
à la Maison Blanche, ou l'abîme actuel entre Tony Blair
et la population britannique, voici deux d’exemples, parmi
tant d'autres, qui rappellent que la pratique de la démocratie
est peu satisfaisante.
Pourquoi ? On peut voir un des piliers de la démocratie
moderne comme l'un des possibles coupables : la représentation.
Pour les fondateurs et théoriciens de la démocratie
moderne, la représentation a toujours été considérée
comme la première condition d’un gouvernement démocratique.
A l'entrée du troisième millénaire, non seulement
la représentation a montré ses limites mais il y a
de nouveaux éléments qui pourraient rendre ce fondement
obsolète. La création de nouvelles entités
politiques tel qu'un Parlement Mondial ouvre sans aucun doute de
nouvelles perspectives politiques, telles que l'émergence
d'une société civile mondiale et des moyens technologiques
qui peuvent faciliter de nouveaux moyens de prise de décision.
Et pourtant, trouver une alternative à la représentation
n'est pas facile.
Les problèmes de la représentation
peuvent être facilement identifiés : une fois à
son poste, un politicien est trop souvent libre de faire ce qu’il
- ou elle, nous y reviendrons sur la parité des sexes plus
tard - veut, et il n'a pas besoin de consulter la population pour
chaque décision qu'il prend. La seule sanction c'est l'élection,
un processus qui est également endommagé. Le résultat
est un fossé croissant entre les électeurs et les
élus et une démocratie plutôt préventive
que projective. Une solution possible à ce problème
serait d'élire des fonctionnaires pour une tâche (spécifique)
plutôt que pour un poste. Bien qu'une telle réforme
verra difficilement le jour dans le cadre des structures Étatiques
de gouvernance, elle pourrait parfaitement être la base d'un
Parlement Mondial.
Le Parlement Mondial fournirait les
bases pour créer le monde dans lequel nous voulons vivre
grâce au concept de « communautés d’idées
»
Un autre problème survient du fait que les
décisions sont fragmentées et prises par les États
individuels avec des intérêts nationaux étroits.
Et en plus, tandis que la gouvernance démocratique aujourd'hui
reste essentiellement nationale, le commerce et les marchés
sont devenus vraiment mondiaux. Les gouvernements sont aussi souvent
tout à fait peu disposés à traiter les racines
ou les causes profondes des problèmes et à imaginer
des solutions radicales pour les résoudre. Par exemple, un
des besoins les plus fondamentaux est la capacité de chacun
à gagner sa vie au quotidien et d’arriver à
survivre, à « durer ». Et il y a encore très
peu de pays ou régions du monde qui prévoient une
complète durabilité. Alors, les lois qu'un Parlement
Mondial pourrait approuver (telles qu’instruire le public
à presser leurs gouvernements dans cette voie-là)
seraient basées sur les valeurs et principes sur lesquels
tous sont d’accord, et qui pourraient traiter les problèmes
et besoins fondamentaux, ainsi que fournir les bases nécessaires
pour créer le monde dans lequel nous voulons vivre.
Il paraît évident alors que le but
d'un futur Parlement Mondial n'est pas la domination mondiale ou
la marchandisation du pouvoir mais l'établissement d'un outil
pour la régulation économique, sociale et culturelle
dont la tâche serait d'agir en conséquence par rapport
aux problèmes fondamentaux (locaux, régionaux et mondiaux)
avec une évaluation constante des conséquences des
décisions prise par l'assemblée de la planète.
Néanmoins, un Parlement Mondial doit quand même fonctionner
avec des personnes. À un certain niveau, et étant
donné le nombre de personnes sur terre et le nombre de décisions
que faut prendre un Parlement Mondial, la participation directe
ne peut pas être la seule forme de prise de décision.
D’une certaine façon, un besoin de représentativité
est en train d'émerger. Mais la représentation implique
des structures pyramidales, des fossés qui se forment entre
les échelles ainsi que, inévitablement, de grands
egos qui gouvernent au jour le jour. Une solution possible à
ce dilemme - une participation directe impossible contre une structure
pyramidale peu satisfaisante - peut être l'ensemble du système
des communautés d'idées que nous avons discuté
précédemment.
Le système des communautés d'idées
ouvrirait la possibilité de partager des idées et
des préoccupations avec des peuples avec qui on a rien d'autre
qui nous lie. Quelqu'un à Marseille peut être plus
proche d’un Inuit que de son voisin de palier. L'idée
des communautés d'idées implique que les porteurs
de propositions ou de projets ne soient pas des représentants.
Ils exécutent des tâches et traitent des problèmes
précis. Leur responsabilité est liée directement
au fait d’entreprendre ou non la tâche qu'on leur a
attribuée (soit locale, régionale ou mondiale). Peut-être,
alors, l'idée des communautés d'idées serait
un élément que nous devrions souligner en priorité
et qui pourrait déterminer la façon de construire
un outil pour la gouvernance mondiale qui soit vraiment démocratique
et effectif.
Un modèle pour la gouvernance
: la « sociocratie »
Une autre façon de combler les manques de
la démocratie peut être d'appliquer le modèle
de la sociocratie au Parlement Mondial. Ce modèle traite
aussi les questions de la représentation et des élections
pour une fonction ou une tâche plutôt que pour un poste.
Le modèle sociocratique a été inventé
pour les écoliers il y a soixante ans mais son application
est universelle.
Sociocratie veut dire gouvernement de ceux qui
vivent et/ou travaillent ensemble. Il vise des relations humaines
correctes, basées sur le principe de situations de bénéfice
maximum. Son idéal est d'empêcher une tyrannie de la
majorité et ainsi l'abus du pouvoir qui affecte tous les
gouvernements démocratiques. Il déclare le principe
de consentement, ou aucune objection soutenue (ce qui n'est pas
la même chose que le consensus) comme son principe de gouvernement.
Bien que cette approche ne cherche pas à colmater la démocratie,
il marque une évolution significative du processus démocratique
du principe d’un homme, un vote vers celui d’un homme,
une voix. Tandis que le vote démocratique se limite à
cocher une fois de temps en temps un cadre sur un bulletin de vote,
la sociocratie donne des moyens pour participer aux débats
sur des questions qui affectent ou intéressent les citoyens
directement.
En pratique, la gouvernance sociocratique fonctionne
comme suit : chaque cercle ou groupe fonctionnel dans une organisation
choisit ses propre élu(s) au niveau supérieur immédiat.
Le dirigeant de ce même cercle est choisi parmi les membres
de ce niveau supérieur immédiat, pour conduire les
démarches dans le domaine inférieur de prise de décision.
Cela assure une communication du haut vers le bas et du bas vers
le haut. Il tient aussi compte d'une délégation bidirectionnelle
dans l'exécution des tâches. Un principe d'accord est
appliqué aux décisions politiques. Pour assurer une
organisation effective, en ce qui concerne l'exécution, les
citoyens peuvent choisir la méthode de prise de décision
qu'ils préfèrent, à condition que cela soit
dans leur mandat.
Pour savoir si en politique un équilibre
hommes-femmes changerait quelque chose, il faudrait d’abord
l’avoir, cet équilibre
Est-ce que les femmes agissent en politique différemment
des hommes ? Grande question ! Jusqu'à récemment,
elle ne semblait pas présenter un intérêt car
le monde était dominé excessivement par les hommes.
Et, tandis que dans des pays isolés comme la Nouvelle Zélande
on reformait tranquillement le paysage politique, il n'a pas été
fait grand’ chose ailleurs. En effet, il a fallu vraiment
quelqu'un comme Margaret Thatcher pour changer notre perspective
des choses. Mais, si Maggie avait montré que les femmes étaient
capables de faire pareil que les hommes, elle n'a certainement pas
montré qu'elles peuvent aussi agir différemment. Depuis
les jours glorieux des Parlementaires britanniques, la participation
des femmes a augmenté en politique et bien que la parité
est loin d'avoir gagné sa place globalement, nous pouvons
nous demander si, et comment, ce phénomène peut changer
la gouvernance. Il y a quelques années, le philosophe américain
Francis Fukuyama avait insisté que oui, les femmes allaient
changer la politique, avant de se faire contester par un groupe
de savants énervés (des hommes et des femmes) qui
soutenait que les femmes et les hommes n'agissaient en rien différemment
en politique. Le débat reste encore ouvert.
Pour les participants qui ont discuté le
sujet du mois, il n'y a aucun doute que le déséquilibre
actuel entre les valeurs masculines et féminines sont en
politique généralement l'une des causes de la racine
de beaucoup des crises internes des individus et en plus des crises
du monde moderne. L'argument n'est pas (comme pour Fukuyama) que
les femmes feraient les choses mieux que les hommes mais qu'un équilibre
entre hommes et femmes serait très salutaire à tous.
S’il y avait plus de femmes à participer aux processus
de prise de décision, les crises et conflits seraient traités
différemment, et il en résulterait moins de guerres,
moins d'humiliation des vaincus, ainsi que plus d'inquiétude
sur la faim et les besoins des familles et des enfants. Pour cela,
on pourrait instituer une proposition simple pour le Parlement Mondial
: que chaque poste dans le Parlement Mondial soit rempli par un
couple femme-homme afin que, essentiellement, la parité absolue
puisse devenir une réalité et ne pas seulement un
voeu pieu.
Bref, il faut repenser la gouvernance...
Bref, un Parlement Mondial a besoin de repenser
la gouvernance avant tout. En incorporant des nouveaux outils et
institutionnalisant des nouvelles formes de gouvernance, il peut
réellement créer un système que les plus vieilles
formes de gouvernement n’auraient jamais pu atteindre, même
à travers des réformes. D'abord, on peut étudier
avec plus de détail les suivantes idées : 1) Des membres
d'un Parlement Mondial élus plutôt pour accomplir une
tâche que pour remplir un poste. 2) Des communauté
d'idées, utilisés comme une fondation de la structure
du Parlement Mondial. 3) La sociocratie mise en oeuvre dans le Parlement
Mondial. 4) La parité homme-femme institutionnalisée
à tous les échelles, de la base jusqu'au sommet.
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