Numéro 3 | Mai 1999 | ||
Sommaire |
Les Nuba du Soudan : un groupe indomptable " Je suis un Nuba, voici le lieu de ma naissance et personne ne viendra plus jamais me donner des ordres sur ma terre ", dit Martha Ousman indiquant la vallée. Avec une mitrailleuse sur l'épaule, Martha et une poignée de militants pour la libération ont le devoir de protéger un col des incursions de l'armée du gouvernement soudanais. Il faut trois heures d'avion en provenance du Kenya pour atteindre les montagnes Nuba qui se trouvent au cour géographique du Soudan. La piste est cachée dans les champs où l'on vient de récolter le sorgho. De là, plus de moyen de transport ; les déplacements se font à pied. Par bonheur, la région offre l'un des paysages les plus diversifiés et les plus beaux d'Afrique composés de champs de sorgho et de sésame, de hauts palmiers sveltes, de collines rocailleuses abritant des maisons de pierre ressemblant à des citadelles fortifiées, de sentiers pentus offrant une vue splendide sur les plaines, de larges rivières saisonnières, de potagers taillés dans les collines et de baobabs majestueux. Occupant une superficie de 50 000 km², les montagnes Nuba sont réputées pour leur beauté et la culture de ses habitants. Des photographes de renommée internationale ont publié des livres qui célèbrent les aspects les plus visuels des cultures Nuba : peintures corporelles, lutte, danse et architecture. La guerre civile contre l'oppression culturelle, religieuse et économique du gouvernement de Khartoum n'a débuté dans les montagnes Nuba qu'en 1987, c'est-à-dire bien après les autres parties du Soudan. Depuis, toute cette région a été isolée du reste du monde. Même à l'époque où les Nations Unies ont négocié l'intervention humanitaire connue comme l'opération Lifeline Soudan avec le gouvernement de Khartoum, cette partie du pays n'a pas été touché. Aucune aide n'a atteint une population croissante de 250 000 habitants qui vit sous le contrôle de la Sudanese People's Liberation Army, SPLA. Le gouvernement n'autorise pas les observateurs des droits de l'homme à visiter cette région. La publication du livre, 'Facing genocide : the Nuba of Sudan' (Menace de génocide : les Nuba du Soudan) en juillet 1995 par African Rights a attiré l'attention du monde (à l'aide d'une documentation importante et indiscutable) sur le fait que le gouvernement de Khartoum était engagé dans un anéantissement complet des cultures et des peuples Nuba. Pourtant, les Nuba ont la détermination d'y résister. Face à l'arabisation imposée (même génétiquement, par des viols systématiques et des mariages forcés) et l'islamisation, les Nuba sont résolus non seulement à sauvegarder leur identité culturelle et religieuse mais s'unissent également pour créer un front de résistance politique. La religion est devenue une partie intégrante de la résistance ; non pas une seule religion mais toutes les religions. Les Chrétiens de toutes les sectes et les Musulmans tolérants (le Gouverneur de SPLA, Yusuf Kuwa, étant lui-même un musulman) trouvent en Dieu le défenseur de leurs droits. Tous les croyants peuvent s'entendre étant donné que la tolérance fait partie intégrante de la tradition Nuba. Il n'est pas rare de trouver des Chrétiens et des Musulmans dans une même famille. Au moment d'aller célébrer la messe dans un village, j'ai été ému quand l'Imam du village m'a demandé la permission d'assister aux prières. "Je sais que notre Père et moi, nous voudrions prier ensemble avec mes amis catholiques". A la fin, quand je lui ai demandé de dire quelques mots, il a parlé de notre enfance commune avec Dieu. Plus tard, lors du repas avec les aînés de la communauté autour d'une grande assiette de kisra (pain sans levain confectionné avec du sorgho), de sauce à la citrouille, d'oignons au beurre de cacahuètes et de viande d'agneau quand tout le monde trempait le kisra dans la sauce, j'ai demandé au catéchiste pourquoi il avait défendu qu'un assaut de lutte ait lieu dans la cour de l'église. J'ai bien peur qu'il y avait un ton désapprobateur dans ma voix. Le catéchiste a répondu : " l'année dernière pendant l'été, un commando de soldats du gouvernement est venu sans annoncer son arrivée. D'habitude, le but des attaques est de punir les Chrétiens, de provoquer la peur, de détruire la récolte pour que la faim nous force à émigrer dans les villes contrôlées par le gouvernement. Le commando a trouvé Gabriel, le catéchiste, mon prédécesseur, dans l'église alors qu'il ensegnait aux catéchumènes. La plupart des personnes se sont enfuies mais Gabriel, en essayant de dissimuler la fuite des catéchumènes a été attrapé. "Êtes-vous chrétien?" lui demanda-t-on. "Oui" a-t-il répondu, en sachant bien les conséquences de sa réponse. Puis ils ont essayé d'attacher ses mains et ses pieds. D'habitude, les soldats enferment les Chrétiens dans l'église et une fois que leurs mains et leurs pieds sont attachés, les soldats mettent le feu au toit pour que tous soient brûlés dans l'église. Gabriel, homme robuste et lutteur expert a résisté. Un des soldats, craignant qu'il ne fuie, a sorti son couteau et l'a tué. Les soldats se sont enfuis laissant son corps par terre juste devant la porte de l'église. Deux catéchumènes cachés derrière un buisson ont été témoins de cet incident. C'est pourquoi nous les catholiques considérons l'enceinte de l'église comme un lieu sacré. Gabriel y a versé son sang pour Jésus. " Je suis resté bouche bée. Mon attitude critique vis-à-vis de son action a vite disparu et j'ai depuis beaucoup de respect pour lui. Il y a des personnes dont la dévotion au Christ est souvent un engagement jusqu'à la mort. Pour eux, la lutte est non seulement un sport, mais un signe qu'il sont prêts spirituellement à lutter pour défendre leur dignité humaine et leur croyance. Je crois que mon devoir en tant que prêtre est de m'approcher de ces gens sans les juger. Comment puis-je leur demander de réagir à l'oppression de Khartoum et d'affirmer leur dignité d'être humain d'une façon non-violente sans avoir vécu ou vu la souffrance et l'exploitation qu'ils subissent quotidiennement ? Avant de prêcher et de juger, il est important de partager la vie. Malgré son nom africain, le Père Kizito est originaire d'Italie. Prêtre par vocation et journaliste de profession, il a vécu pendant plusieurs années en Afrique où il est impliqué dans des activités pour la jeunesse, notamment en faveur des enfants des rues de Nairobi. Ancien rédacteur en chef de 'New People', il est connu au Kenya pour sa rubrique hebdomadaire dans le 'Sunday Nation'. |