Numéro 7 | Décembre 2000 | ||
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Pour un tourisme durable « Comment peut-on être Persan ? » se demandaient les belles âmes européennes à l'époque des Lumières. Cette question pourrait être aujourd'hui « Comment peut-on aller en Iran ? » ou avec des accents plus shakespeariens : « Aller ou ne pas aller en Iran, telle est la question » ! En fait, ce n'est pas une question qui ne concerne que l'Iran, bien sûr, mais l'Histoire récente a fait que mon pays a été en même temps au ban de la société mondiale et au centre des préoccupations géopolitiques. Moi-même, j'ai quitté l'Iran à l'époque du Shah et n'y suis revenu pour y travailler à nouveau (comme ingénieur agronome) que depuis quelques années. Par mon travail, par mes contacts avec de nombreux amis européens (je suis resté longtemps en Allemagne), je m'intéresse à l'image de l'Iran parmi les étrangers et, comme beaucoup d'Iraniens aujourd'hui, je suis content de voir venir des touristes, mais aussi toujours un peu étonné. Au-delà de l'attrait pour des hauts lieux du patrimoine de l'Humanité Ma situation m'a permis de rencontrer beaucoup de gens, donc d'aborder souvent la question de savoir si les touristes doivent ou non venir en Iran, quel est l'espace de liberté dont ils y disposent, quelle est la place de mon pays dans l'imaginaire des touristes ? Au-delà du plaisir personnel qu'il peut y avoir à découvrir les hauts lieux du Patrimoine de l'Humanité (Ispahan, Persépolis, etc.), quel est l'enjeu politique et économique que cela sous-entend ? Bien sûr, les réponses sont très différentes si on s'adresse à des Européens en Europe ou à des touristes en Iran. Ceux qui ont déjà fait la démarche de venir ont déjà répondu à la question. Ils sont rarement déçus et repartent dans leur pays avec une image différente de celle qu'ils avaient avant de venir, même s'ils avaient déjà une ouverture d'esprit assez grande pour ne pas céder au discours ambiant sur l'Iran. Il est vrai que depuis quelques années, les médias européens ont une position plus souple vis-à-vis de notre pays que les médias américains. Certainement parce que la politique européenne (au moins sur le plan économique) est plus disposée à un retour du dialogue. En Iran même, tout le monde n'est pas d'accord avec la politique d'ouverture au tourisme, surtout dans les milieux religieux les plus conservateurs. En effet, le tourisme n'est pas une activité commerciale neutre. Les devises n'entrent dans le pays que si les touristes peuvent en faire autant et certains mollahs, très minoritaires, craignent que ces derniers puissent pervertir la société, la culture et les normes islamiques. Le chiisme iranien, aussi bien dans ses formes populaires que savantes, fait facilement référence à Satan, et surtout à l'opposition entre l'Homme de Lumière et le monde des Ténèbres, et dans un environnement culturel où le symbolique tient une place presque plus importante que la réalité, des amalgames hasardeux sont à regretter. Les touristes ne sont pas un danger pour notre culture Dans l'ensemble, les Iraniens et les Iraniennes sont contents de voir revenir les touristes depuis une dizaine d'années, et de voir qu'ils viennent plus nombreux chaque année. Ils savent ainsi qu'ils ne sont pas oubliés du reste du monde et dès qu'ils le peuvent, ils viennent discuter avec les étrangers même si les conversations ne sont pas toujours faciles à cause de la langue. Ils savent aussi que les touristes ne sont pas un danger pour leur culture. La culture iranienne était en danger à l'époque du Shah, lorsqu'il fallait à la fois replonger dans nos racines perses, antéislamiques (les époques des grands empereurs dont le Shah se rêvait en digne successeur) et se propulser dans la culture occidentale ou, plus exactement, dans les sous-produits culturels qui nous en parvenaient. L'accès à la vraie culture occidentale n'était réservé qu'à une petite élite intellectuelle. La culture iranienne était en danger au début de la Révolution, lorsqu'il ne fallait se replonger que dans l'histoire de l'Iran musulman et de sa spécificité chi'ite. Aujourd'hui, l'Iran et surtout les Iraniens revendiquent ce triple héritage et le développement du tourisme ne peut que contribuer à le revivifier, dans son ensemble. Bien sûr, il y a la question du respect des Droits de l'Humain. Mais en quoi cette question se pose-t-elle plus pour l'Iran que pour beaucoup d'autres pays pourtant célèbres comme destinations touristiques ? Bien sûr il y a la question de la démocratie. Mais justement l'Iran vient de montrer au monde que le peuple pouvait voter et que les voix conjuguées des jeunes et des femmes pouvaient faire gagner l'opposition. Bien sûr, il y a la question de savoir à qui rapporte le plus le tourisme en Iran. Au peuple, à l'État ou à une oligarchie politico-économique ? Aujourd'hui en Iran, il y a des agences de voyages étatiques, ou liées de près à l'État par l'intermédiaire de fondations, il y a des agences privées. De même il y a des hôtels, des autocaristes proches de l'État ou privés. Il y a le choix. Certes, le tourisme ne rapporte pas encore beaucoup aux classes les plus pauvres et il est encore trop marginal pour avoir un véritable poids dans l'économie nationale, mais il ne sert pas à alimenter le budget d'une armée, d'une junte ou d'un groupe ethnique contre les autres. * ingénieur agronome, pseudonyme |