Numéro 3 | Mai 1999 | ||
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Mondialisation ou dialectique des civilisations Jean-Loup Herbert (France) Dans ce qu'il est convenu d'appeler mondialisation et globalisation, il est souhaitable de pondérer le plus précisément possible la part de ce qui relève :
Ces différentes tendances retravaillent profondément la pluralité des peuples, des cultures, des langues, des traditions spirituelles et philosophiques. Dès lors, comment distinguer entre :
Entre la " fin de l'histoire " dans l'uniformisation (Fukuyama), la " géopolitique du chaos " d'un marché déchaîné (Ignacio Ramonet), le " choc de civilisations ré-émergeantes " (Samuel Huntington), peut-on construire la voie des échanges de " notre diversité créatrice "1 dans une féconde " dialectique de civilisations "2, ou l'oeuvre en cours du sinologue français François Jullien3. Certes l'analyse et la dénonciation de l'expropriation par l'accumulation-concentration du capital produisant ses effets de paupérisation, destruction, aliénations, demeurent une exigence politique, éthique, intellectuelle, et en cela la pensée de Marx reste d'une puissance non dépassée. Pourtant, les limites géo-politiques, culturelles et économiques de la reproduction élargie ont été atteintes il y a bientôt cinquante ans. Pour nous, la Conférence de Bandoung (1955) reste la date majeure de ce point de retournement. La mondialisation et la globalisation sont des thèses réductionnistes et unidimensionnelles, l'autre face du paradigme économiciste et techniciste qu'elles veulent dénoncer. Leur obnubilation obsessionnelle sur la notion de crise exprime plutôt les contradictions d'une pensée euro-latino-méditerranéenne dont l'universalisme abstrait, soit idéaliste, soit matérialiste est questionné par la ré-émergence d'un monde multicivilisationnel. En effet, la IIIème Guerre Mondiale - ou la première vraie Guerre Mondiale ? - commencée en 1948 contre la Corée, la Chine, le Vietnam, l'Egypte, l'Algérie, Cuba, l'Iran, le Guatémala, le Brésil, l'Afghanistan... a été perdue par les grandes puissances au niveau géopolitique. Les blocus dérisoires de Cuba, l'Iran, la Lybie, l'Irak sont plutôt la preuve des limites de l'expansion de l'Empire des U.S.A., tout comme la défaite de l'Armée Rouge en Afghanistan a précédé la décomposition de l'Empire Soviétique et la chute du mur de Berlin. Certes, les drames que vivent les peuples d'Irak et d'Algérie sont des conséquences d'une guerre du pétrole momentanément perdue, surtout à cause de la collaboration déclarée du petrodollar saoudien avec l'empire. Mais au-delà de la dénonciation et de l'analyse géopolitique, nous avons surtout besoin d'une mondialisation des victoires des peuples et des civilisations depuis une cinquantaine d'années. Besoin de comprendre comment à partir de leurs énergies culturelles, spirituelles, leur créativité collective dans des milliers d'initiatives, un monde multipolaire et multicivilisationnel se recompose chaque jour. Par exemple, nous avons besoin de mieux connaître et de relier :
La leçon éthique que vient de donner (avril 1998) Nelson Mandela à Bill Clinton illustre ce retournement des rapports dans la dialectique des civilisations. Il va de soi que l'impérialisme et le monologue civilisationnel de cinq siècles ne se renverse pas en quelques dizaines d'années. Les interactions multiformes remodèlent toutes les civilisations, du dehors et du dedans ; la très grande complexité-diversité-fécondité des processus en cours ouvre des nombreux degrés de liberté, ce qui n'exclut pas bien sûr les chocs, les reculs, les blocages. L'analyse unidimensionnelle que produit l'idéologie de la mondialisation et de la globalisation semble nous rendre aveugles à la jaillissante diversité. Certes les Chinois sont en train de tester la production Mac Donald, mais comment ne pas être attentifs à la diffusion du fast-food chinois, turc, arabe, italien, mexicain, brésilien, pakistanais, à Paris comme à Sao Paulo, à New York comme à Istanbul. Je préfère voir dans la diffusion de ce pluralisme culinaire l'image de " Notre diversité créatrice ". 1. Titre du Rapport de 'UNESCO sur la culture et le développement, 1996 |