Numéro 3 | Mai 1999 | ||
Sommaire |
Sur le dialogue inter-religieux Asghar Ali Engineer* (Inde) Les rituels, la théologie et les institutions sont uniques à chaque religion et font souvent l'objet de mésententes. Chaque tradition religieuse souligne l'importance de certains rituels et dogmes théologiques comme étant au centre de cette tradition religieuse et affirme sa supériorité sur les autres. Par exemple, le système islamique du culte interdit l'idolâtrie : l'Islam souligne l'unité de Dieu et considère comme un péché toute association d'un être quelconque avec lui. Par contre les Hindous pratiquent l'idolâtrie et se prosternent devant des idoles. Ces différences mènent souvent à des conflits violents entre ces deux communautés en Inde. Afin d'établir un véritable dialogue, il s'agit de comprendre et apprécier ces différences plutôt que de les combattre. Plusieurs Saints soufis et bhaktis s'y sont essayés. Ils ont tenté non seulement de comprendre ces différences mais aussi de les réconcilier. Guru Nanak, le fondateur du Sikhisme a, par exemple, témoigné beaucoup de respect pour l'Islam et l'Hindouisme et a élaboré une synthèse créatrice des deux. Dara Shikoh, le prince Moghol qui s'intéressait aux traditions soufies appréciait profondément les traditions religieuses hindoues et a écrit un traité intitulé Majma'al-Bahrayn : la rencontre de deux grands océans, l'Hindouisme et l'Islam. Un autre Saint soufi indien du 18e siècle, Mazhar Jan-I-Janan affirmait que l'idolâtrie chez les Hindous n'était pas une manifestation polythéiste car les idoles n'étaient pas des dieux eux-mêmes, mais un moyen d'atteindre Dieu. Les Saints soufis soulignaient plutôt la spiritualité que les rituels et pouvaient alors visualiser l'unité de base parmi les diverses traditions de la foi. Les textes hindous parlent également d'égal respect pour toutes les traditions religieuses. Les Saints bhakti de la tradition hindoue attachaient de l'importance -comme les soufis- à l'amour intense sous forme de bhakti, c'est-à-dire à la dévotion au Dieu, à l'être suprême. Ils pensaient également que les rituels étaient secondaires et que la spiritualité était fondamentale. Les mystiques des traditions chrétiennes nous ont livré le même message. Alors que les rituels, théologies et institutions peuvent varier d'une religion à une autre, les valeurs de chacune se complètent naturellement : l'Hindouisme met l'accent sur la Non-Violence et le Bouddhisme sur la Compassion ; le Christianisme fait de l'Amour une valeur centrale tandis que l'Islam privilégie la Justice et l'Egalité. Ces valeurs sont sans aucun doute complémentaires. Ceci ne veut pas dire que les gens sont indifférents aux rituels et aux théologies. Des millions de personnes accordent une grande importance à leurs propres rituels et systèmes théologiques. Un dialogue inter-religieux doit accepter et reconnaître ce fait primordial. Je voudrais ici élaborer certaines règles utiles pour se lancer dans un dialogue inter-religieux :
Si l'on suit ces règles de base pour un dialogue inter-culturel et inter-religieux, les résultats auront toutes les chances d'être positifs. Aucun pays aujourd'hui ne peut se targuer d'être strictement monoculturel ou monoreligieux. Les moyens de transport rapides ont provoqué un brassage de cultures et de religions diverses. Qu'on le veuille ou non, il faut vivre avec cette diversité. Il se peut qu'un groupe constitue la majorité et les autres restent minoritaires, comme il est possible que plusieurs minorités mises ensembles constituent une majorité, une situation susceptible d'arriver prochainement au Canada. Le modèle d'une société mosaïque ne peut garder sa beauté que dans l'harmonie ; tout conflit ne conduirait qu'à faire exploser cette mosaïque. Pour finir, je voudrais parler du dialogue de la vie. Le dialogue de la vie, c'est le vivre ensemble avec tous ses problèmes et ses tensions et le partage des joies et des misères des uns et des autres dans un esprit de partenariat humain. Cette coexistence dans la célébration de la vie se déroule quotidiennement au niveau des gens de la base. Là, pas de théories, de théologies ni de concepts qui offrent des terrains de dispute ; il n'y a que des problèmes et des difficultés à partager. Voici le véritable dialogue de la vie, un dialogue par et pour la coexistence et le partage. * Directeur du Centre for Studies of Societies and Secularism (Mumbai, Inde). |