Numéro 4 | Octobre 1999 | ||
Sommaire |
CHARTE DE LA TERRE La critique épistémologique et méthodologique principale que je fais au texte de Charte de la Terre proposé par le chantier " Carrefours Humains " (voir l'article) est qu'il est basé sur une conception philosophique marquée par les dualités issue d'une pensée occidentale, enracinée dans les conceptions de la philosophie grecque de l'antiquité. Bien entendu, je ne veux pas dire que cette conception philosophique n'est ni intéressante ni pertinente ; mais je crois qu'elle ne doit pas être à elle seule la base d'une Charte de la Terre de portée internationale et inter-culturelle à l'aube du troisième millénaire. Il faudrait éviter à mon avis de rester entravé par un cadre de dualités qui peuvent apparaître comme contradictoires. On voit bien que ce genre d'exercice peut provoquer une vision quelque peu manichéenne du monde ou tout au moins réductrice de l'éthique. Je suggère aussi d'exprimer par des mots plus clairs la réalité de quelques dualités auxquelles sont confrontés les peuples, telles que Guerre/Paix ou Justice/Injustice. Un des effets pervers du processus d'abstraction est qu'il fait perdre " de la chair " aux idées et aux situations de la vie. Au-delà de ce cadre, une question fondamentale se pose : ne pourrait-on pas réfléchir à d'autres processus de recherche, à d'autres modes de pensée, à d'autres manières de poser les questions, car la méthode adoptée, tout en ayant sa raison d'être, n'est ni exhaustive ni pleinement satisfaisante ? Il serait très intéressant d'apprécier les angles d'approche, les méthodes de pensée élaborés par les autres allié(e)s qui s'empareront de cette initiative. Saisir la complexité du monde Les diverses cultures ont des modes de pensée divers et variés. Les processus cognitifs ne sont pas les mêmes partout, les approches épistémologiques sont différentes. Par exemple, je crois comprendre que les allié(e)s asiatiques suivent une démarche de nature holistique pour exprimer une vision du monde et de soi-même où un ensemble d'éléments, et non seulement deux, sont articulés. De même, à partir de son enracinement méditerranéen et européen, Edgar Morin, citant le philosophe français du XVème siècle Pascal, souligne l'importance de ne pas réduire la réalité à une pensée binaire. Il affirme le besoin de chercher à saisir la complexité du monde et de soi grâce à l'articulation de multiples composantes, non seulement intellectuelles, mais également émotionnelles, artistiques, poétiques. Il est tout à fait possible et souhaitable, même si cela n'est pas gagné d'avance, que les diverses cultures se rencontrent dans la recherche, voire l'identification de valeurs communes. Mais le défi d'une recherche inter-culturelle de valeurs communes devrait mettre en relief ces processus de pensée divers et variés. Je pense en particulier à toute la pertinence de la phrase tirée de la note La démarche de la Charte de la Terre dans le cadre de l'Alliance : " Aujourd'hui, nous sommes tenus de découvrir et d'adopter des principes communs. Ils ne peuvent plus être imposés par l'hégémonie occidentale, ils doivent nécessairement résulter d'un dialogue entre cultures et civilisations. ". Laisser la place à l'imprévisible Ainsi, je souhaite que nous parvenions à développer une Charte inter-culturelle, complexe, et je crois que nous devons exprimer nettement dans une Charte de la Terre que cette tentative d'énoncer un nouveau texte fondamental pour l'Humanité à l'aube du prochain siècle, est habitée par des sentiments profonds d'humilité et de tendresse face à la riche complexité et imprévisibilité de notre monde et de nos vies. Dans un texte comme une Charte, nous devons veiller à laisser la place à l'imprévisible, à ce que les mots ne disent pas. Laissons quelques pages en blanc, parce que nous ne savons pas quoi écrire, pour laisser la place à ce que les nouvelles générations pourront exprimer. Marquons dans une Charte notre volonté de faire le chemin tout en marchant. Et surtout, mettons en ouvre un processus social, participatif pour que cette Charte soit véritablement une Charte des Peuples de la Terre. Dans ce dessein, la Freedom Charter de l'Afrique du Sud (voir des extraits) est une expérience remarquable. Chaque phrase de ce texte était enracinée dans les cours des Africains du Sud, noirs, blancs, métis et indiens. Chaque phrase constituait une ligne de conduite et de lutte. Lorsqu'ils et elles écrivaient ces phrases sur les murs, ils et elles risquaient leurs vies. quelque un(e)s l'ont perdue. Mais ces femmes et ces hommes ont tenu bon et, plus de trente ans après, ont réussi à se libérer de l'apartheid. Une Charte des Peuples de la Terre devrait nous aider à ressentir ces mêmes sentiments de courage et à partager la lucidité nécessaire pour faire face aux nouveaux défis qui sont les nôtres. Gustavo Marin (Chili-France) |