Numéro 2 | Décembre 1998 | ||
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Voir la ville avec les yeux d'une femme Claudine Drion (Belgique) " Je rêvais. Le bus s'est arrêté juste au coin de ma petite rue, avec ponctualité. J'ai pu ainsi me rendre à la salle municipale pour la réunion des habitants de quartier pour laquelle j'avais reçu une invitation à temps grâce aux services postaux. Les enfants avaient fini leur devoir - l'école ne leur en donne jamais trop - et leur grand-père passait la soirée avec eux : je ne m'inquiétais pas. La réunion fut très intéressante, nous avons reçu des informations sur l'aménagement du quartier, la création d'une bibliothèque publique et d'une plaine de jeux arborée. Nous avons débattu du soutien de la municipalité aux initiatives économiques des habitants dans le domaine écologique et décidé des priorités pour les 3 prochaines années. En sortant de la réunion, j'ai décidé de rentrer à pied avec une amie. Il faisait doux, les rues étaient calmes et bien éclairées. J'ai continué seule, en toute sécurité quand mon amie est arrivée chez elle. Nous étions heureuses et fières de vivre dans une ville où nous avions notre mot à dire. " Elle rêvait ? Combien de femmes et d'hommes ont-ils la possibilité de participer ainsi à la Cité, espace de débat démocratique et lieu de vie collective ? Plus souvent encore, parce qu'elles ont peur, parce qu'elles n'ont pas les moyens, parce qu'on ne leur demande pas, les femmes sont reléguées à la sphère privée - la maison - dont elles veulent pourtant sortir pour participer à la vie sociale, politique et économique. Comme le dit le rapport de la Conférence de l'ONU sur Habitat II, " Les rapports socioculturels entre les sexes se révèlent en particulier dans l'organisation spatiale de la ville et ont beaucoup d'implications dans les politiques de structuration urbaine et dans la manière dont les villes sont planifiées et gérées ". Voir la ville avec les yeux des femmes, c'est mettre l'accent sur les aspects plus qualitatifs : une mobilité accessible à tous et toutes ; la qualité de l'habitat ; la sécurité et les équipements collectifs : écoles, bibliothèque, terrains de loisirs et de sports, salles de réunion ; les relations entre les générations : la place des enfants et des vieux. Pour mettre tout cela en évidence, il faut, de manière volontaire, créer des espaces de participation.. Dans ma ville, un exemple montre comment le débat sur la ville est encore bien peu ouvert aux femmes. La municipalité avait décidé de créer une Commission représentant les habitants d'un quartier jugé prioritaire. Ce quartier abrite des personnes de plus de 30 nationalités. Il a été décidé de procéder à l'élection de délégués en veillant à ce que la diversité culturelle soit respectée et en créant des collèges électoraux par grands groupes culturels. Le résultat donna une Commission effectivement bien représentative. Oui, sauf que sur les 20 élus, il n'y avait pas de femmes. Plusieurs d'entre elles s'en sont plaintes aux autorités qui ont dit, " ah oui, on n'y avait pas pensé, cela ne nous paraissait pas un critère important ". Outre le principe même de la nécessaire présence des femmes, quand on sait que beaucoup de familles de ce quartier sont des familles monoparentales avec une femme comme chef de famille, il y a beaucoup à craindre que la Commission ne soit pas capable de prendre en compte les intérêts de toutes ces familles, femmes et enfants, qui ont des besoins et des projets qui devraient être intégrés dans le développement du quartier. Pour sortir du cercle vicieux, il faut d'une part donner priorité à ce que les femmes puissent participer aux débats politiques, être élues et exercer le pouvoir avec les hommes. Et d'autre part, développer des politiques d'urbanisme, de transports, de culture, d'emplois pour que la qualité de vie et les droits humains soient respectés. L'histoire des femmes dans la Cité n'a pas commencé il y a longtemps. Sorties de la maison, elles veulent maintenant partager avec leurs compagnons le débat et le pouvoir qui leur furent jusqu'il y a peu interdits : c'est un nouveau projet de ville qui peut alors prendre corps. |