Numéro 3 | Mai 1999 | ||
Sommaire |
Chantier Biodiversité C'est à l'échelle mondiale que se définissent aujourd'hui les principes de la gestion de la diversité du vivant, car l'interaction accrue des sociétés humaines oblige à une perception globale des enjeux. Mais la négociation internationale concentrée sur des débats d'experts et des campagnes de lobby tient à l'écart la plupart des citoyens. L'élaboration démocratique des décisions globales est un exercice délicat, à laquelle contribuent les activités du chantier biodiversité autour de deux pôles principaux. Le premier pôle soutient la participation des communautés locales à la gestion in situ des ressources. En effet, la conservation de la diversité vivante dans les banques de gènes, dans les zoos, les jardins botaniques qui a été jusqu'ici privilégiée, apparaît désormais coûteuse et discutable dans son efficacité. De nouveaux programmes de gestion de la biodiversité cherchent aujourd'hui à prendre en compte le rôle central des communautés rurales. La mise en ouvre de politiques de protection de la biodiversité par des communautés considérées comme marginales vis-à-vis du développement et de la modernisation soulève de nombreuses questions, en particulier sur l'exercice de la gouvernance. Le deuxième pôle sur lequel nous travaillons, à l'interface entre la science et la société, concerne la maîtrise de la diffusion des Organismes Génétiquement Modifiés (OGM) en agriculture. Les OGM sont le produit de biotechnologies récentes qui permettent le transfert d'un gène et de son expression, d'un organisme à un autre. La diffusion rapide d'OGM sous la seule influence du marché occasionne un grand nombre de périls nouveaux, non seulement sur l'environnement, mais aussi sur l'autonomie des acteurs de la filière agro-alimentaire comme du secteur de la santé. L'appropriation du vivant à travers des brevets industriels et les transformations économiques et juridiques qu'elle génère appellent une large consultation des professionnels avec les citoyens sur l'intérêt collectif et le choix de société. Construire une réflexion sur l'implication des OGM en agriculture C'est à l'intersection de ces deux pôles que se sont bâties trois rencontres internationales "OGM et agriculture" à Morges (Suisse) en novembre 1997, à Bruxelles (Belgique) en avril 1998 et à Rishikesh (Inde) en décembre 1998. La première rencontre a eu lieu quelques mois avant un référendum sur "l'initiative pour la protection génétique" qui proposait d'interdire, en Suisse, toute dissémination d'OGM dans l'environnement. Les conclusions reprises dans le Dossier pour un débat " Aliments transgéniques : des craintes révélatrices " (Editions FPH, Paris, 1998) soulèvent le questionnement profond d'une société sur le choix de développement. Le manque d'information et l'opacité du discours des scientifiques et des politiques sont perçues comme responsables d'un déficit de démocratie. La conscience que les choix imposés par le progrès industriel ne répondent plus à la logique de précaution se fait plus aiguë. La deuxième rencontre a élargi la réflexion à l'Europe, où la culture des variétés transgéniques avaient en quelques mois suscité de vifs émois. La discussion d'acteurs aux intérêts contradictoires s'est centrée sur la relation entre recherche et agriculture durable, comme le rapporte le Dossier pour un débat " Le piège transgénique ? " (Editions FPH, Paris, 1998). Il apparaît évident que les OGM sont aujourd'hui en complète contradiction avec les principes d'une agriculture durable, socialement équitable que l'on souhaite pour l'Europe. Les entraves à la liberté de choix sont de plus en plus manifestes au fur et à mesure que les bio-industries se consolident en monopoles. " Il devient chaque jour plus difficile au chercheur d'orienter ses recherches de manière autonome, plus difficile à l'agriculteur de promouvoir un type d'agriculture sans OGM, plus difficile enfin au consommateur d'éviter des aliments transgéniques dans son assiette. " Si cela est si préoccupant pour l'Europe, qu'en est-il alors des agricultures paysannes des pays du Sud, riches de bras et de diversité ? Là résidait l'objet de la troisième rencontre. L'implication des OGM sur la biodiversité et les droits des communautés est apparue comme une grave menace, et le besoin d'informations sur les biotechnologies et de solidarités transcontinentales comme une urgente nécessité (voir Biodiversité, droits des communautés & OGM). Veille et moratoire sur les OGM Nous avons constaté que le rythme des transformations du secteur de la génomique ressemble à une course en avant échevelée que plus personne ne contrôle. Le débat public est à peine amorcé alors que " la mise sur le marché des innovations biotechnologiques précipite la société dans un espace de non-droit, puisque le droit n'a plus le temps d'être élaboré ". Deux priorités s'imposent aujourd'hui. Premièrement l'organisation d'une veille citoyenne sur les OGM pour rendre l'information accessible à tous et permettre, en connaissance de cause, de pousser les politiques à agir dans le sens du principe de précaution. Deuxièmement soutenir un mouvement civil international pour exiger un moratoire sur les applications du génie génétique en agriculture, et " prendre le temps de bâtir collectivement les conditions sociales de leur acceptabilité ". Contact: Robert Ali Brac de la Perrière Le chantier Biodiversité est soutenu par plusieurs programmes et politiques de la Fondation Charles Léopold Mayer pour le Progrès de l'Homme : le programme AVE, le programme APM puisqu'il est question de systèmes agricoles paysans en mutation, le programme INO, puisqu'il s'agit d'arriver à une maîtrise sociale du génie génétique ; la politique DPH, car l'échange d'expériences est au coeur du projet Interface, et la politique INI, qui a initié les trois rencontres internationales sur les OGM et l'agriculture.
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